18e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2006-2007

Chaque évangéliste insiste sur tel ou tel aspect de l'enseignement du Christ. Ainsi saint Luc ( probablement un médecin païen converti ) est l'évangéliste de la conversion, de la joie du pardon, de la miséricorde...mais il souligne très souvent le danger, pour la vie spirituelle, de l'enrichissement.

Quand Jean-Baptiste annonce la venue imminente du Messie et que les foules lui demandent ce qu'elles doivent faire, il répond tout de go : "Que celui qui a deux tuniques en donne une..."(3, 10).

Jésus commence son grand discours aux foules par : "Bienheureux les pauvres...Malheureux les riches..."(6, 20).

Et le dernier "miracle" qui clôture la montée de Jésus vers la capitale est non une guérison physique mais la stupéfiante conversion du riche Zachée : " Je donne la moitié de mes biens aux pauvres..."( 19, 8).

D'ailleurs tout son Evangile est encadré par deux scènes : le nouveau-né Jésus couché sur la paille et le condamné Jésus, nu, sur une croix.

Aujourd'hui encore, Luc rapporte un avertissement de Jésus sur ce sujet capital - et d'une étonnante actualité.

Du milieu de la foule, un homme demanda à Jésus :

" Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage".

Jésus lui répondit : " Qui m'a établi pour être votre juge ou pour faire vos partages ?"...

En cas de litige, les gens avaient coutume de s'adresser aux rabbins, aux spécialistes des lois pour régler leurs différends. Jésus refuse de jouer ce rôle d'arbitre, d'entrer dans la lutte des chicaneries. Mais il profite de cette demande pour lancer à tous une mise en garde sévère :

Puis s'adressant à la foule : " Gardez-vous bien de toute âpreté au gain car la vie d'un homme, fût-il dans l'abondance, ne dépend pas de ses richesses".

Donc attention à la cupidité, à la rapacité, à l'envie folle de posséder toujours plus ! Jésus rappelle que, si l'argent est utile et nécessaire, la vie humaine ne dépend nullement de la réussite financière.

Ce qu'il explique par une petite histoire :

Et il leur dit cette parabole :

" Il y avait un homme riche dont les terres avaient beaucoup rapporté. Il se demandait :

"Que vais-je faire ? Je ne sais pas où mettre ma récolte !".

Puis il se dit : " Voici ce que je vais faire :

je vais démolir mes greniers, j'en construirai de plus grands

et j'y entasserai tout mon blé et tout ce que je possède.

Alors je me dirai en moi-même :Te voilà avec des réserves en abondance pour de nombreuses années : repose-toi, mange, bois, jouis de l'existence".

Mais Dieu lui dit : " Tu es fou : cette nuit même on te redemande ta vie.

Et ce que tu as mis de côté, qui l'aura ?..."

Voilà ce qui arrive à celui qui amasse pour lui-même

au lieu d'être riche en vue de Dieu"

Cet homme était sans doute honnête, bon père de famille, gros travailleur, bon gérant de son exploitation. L'année avait été très bonne : les moissons superbes, surabondantes. Les granges se révèlent trop exiguës : que faire ? Les abattre et vite en construire de plus spacieuses. Avec les ouvriers, on travaille d'arrache-pied, le blé est rentré dans les nouvelles installations. Hilare, épanoui, l'homme évalue la valeur de cet amoncellement et se dit qu'il n'a vraiment plus de souci à se faire pour plusieurs années....

Quand soudain, l'inattendue, l'imprévisible, l'horrible MORT est là !

A quoi bon alors l'or, l'argent, les maisons ?

L'arrêt du c½ur est aussi l'arrêt de toute possession, le dépouillement total.

Tu te croyais intelligent, doué, prévoyant, tu étais l'image de la réussite, les voisins t'enviaient...Patatras ! Tout s'écroule : "Tu étais FOU !", dit Jésus car tu amassais pour toi, tu ne cherchais qu'à avoir plus...

Jésus ne dit pas que la réussite dans les affaires est un mal ni qu'il est abominable d'être devenu plus riche qu'avant.

Mais tu ne pensais qu'à toi, ton succès t'enivrait, tu jouissais d'être à la tête d'une plus grande fortune. Tu oubliais que l'enrichissement est une responsabilité. Celui qui a la chance de gagner plus que les autres doit du coup donner plus que les autres ; au lieu d'être hypnotisé par tes nouveaux bâtiments, de t'enorgueillir de ton compte en banque plantureux, tu aurais dû comprendre que l'enrichissement doit se faire POUR DIEU, EN VUE DE DIEU.

Qu'est-ce à dire ? L'expression s'éclairera peu après quand Jésus donnera des consignes beaucoup plus radicales à ses disciples, en les appelant au dépouillement total mais avec la même visée :

" Vendez ce que vous possédez et donnez-le en aumônes. Faites-vous des bourses inusables, un trésor inaltérable dans les cieux ..." ( 12, 33).

La vraie richesse que rien, ni personne ni la mort, ne peut nous enlever, c'est l'acte de don, de partage, de charité. L'amour seul est le trésor éternel et - paradoxe - il grandit au fur et à mesure de nos cadeaux. Plus tard, Jésus martèlera à nouveau le même enseignement :

" Eh bien moi, je vous dis : Faites-vous des amis avec l'Argent trompeur pour qu'une fois celui-ci disparu, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles" ( 16, 9)

L'argent est une fausse assurance, il est "trompeur" comme un sol qui peut à tout moment se dérober sous nos pas : donc il faut s'en servir en donnant à ceux qui en manquent.

Ces "amis" seront notre comité d'accueil à l'autre côté.

*

L'homme de la parabole représente bien l'homme occidental. Depuis 40 ans, la société de consommation nous bombarde les mêmes messages : "NOUVEAU ! Achetez ceci...Modèle inédit...performances améliorées.....Sensationnel ! Conditions de crédit avantageuses..."

On nous a convaincu qu'il fallait accroître son niveau de vie, que nous serions malheureux de ne pas posséder CECI...de manquer de CELA...Et on court, on achète, on jette, on gaspille sans vergogne. Après nous le déluge !

La publicité est une formidable machine à exciter le désir d'AVOIR PLUS, cette "âpreté au gain" dont parlait Jésus ci-dessus. Et la machine est tellement bien rôdée qu'elle a réussi à vider les couvents, les séminaires et les églises. L'Occident a cru que l'on pouvait être chrétien et consommateur à tout crin... : illusion mortelle !

Saint Paul avait prévenu : " Faites mourir ce qui en vous appartient à la terre :

débauche, impureté, passion, désir mauvais

et CETTE CUPIDITE QUI EST UNE IDOLATRIE" ( Col 3, 5).

Seule une Eglise qui fera le retour à la simplicité et au partage, qui refusera toute convoitise insensée, redeviendra féconde et vraie.