Il semblerait bien que depuis qu'existent des conflits sur cette terre, les hommes n'aient jamais trouvé que deux moyens de les résoudre, soit la violence, soit l'arbitrage ou le recours à un arbitre, compétent, impartial et neutre. Nous en avons encore de nombreux exemples aujourd'hui.
Ici, deux frères voudraient prendre Jésus comme juge dans leur litige au sujet de leur héritage. Que s'est-il passé entre eux ? Nul ne le sait ! St. Luc est le seul évangéliste à rapporter cet épisode et il ne donne pas les circonstances de ce dialogue. Tout l'intérêt se porte sur la réponse de Jésus. La tradition a tenu à conserver cette réponse qui est un refus sous forme de question » Qui m'a établi chef et juge ? » (Littéralement : juge et partageur entre vous) La question posée à Jésus par ce juif laïc est révélatrice de l'autorité de Jésus vu comme maître et rabbi dont la culture est vaste. Si Jésus ne répond pas, ce n'est pas par manque de compétence ou d'esprit de service mais parce qu'il voit un danger à l'opinion que l'on peut se faire de sa mission..
Sa mission n'est pas de juger des questions temporelles. Il n'est pas juge entre des héritages humains et il a autre chose à faire qu'½uvre de notaire. Il est messager d'un seul héritage : l'amour du Père pour le salut des hommes. Ce refus contient une première leçon. Tous les pouvoirs ou les autorités ont toujours essayé de mettre Dieu de leur côté. Mais Dieu refuse de remplacer l'homme, de décider pour lui, de se substituer à sa liberté. Dieu, comme Jésus ici, juge toujours intolérable qu'on se serve de son autorité divine et morale pour appuyer des revendications profanes ou des intérêts particuliers. Dieu ne supplée pas à nos carences. Il soutient nos efforts. Il n'est pas une excuse ou une explication à nos erreurs.
Jésus nous dit qu'il n'est pas là pour exercer une autorité de juge, pour trancher nos différends, pour se laisser accaparer par nos convoitises. « Même si vous vous déclarez dans votre bon droit, vous allez vous servir de moi pour vous présenter comme juste afin de dénoncer l'autre, votre frère, comme injuste. » Jésus nous dit qu'il est venu pour que chaque homme sache se juger lui-même et qu'il découvre en soi ses injustices et sache y renoncer. » Je suis venu pour vous inviter les uns les autres à vous libérer de vos propres chaînes d'égoïsme et de possession. Pour moi, l'homme vaut davantage par ce qu'il est que par ce qu'il a. Je ne juge pas sur l'épaisseur du portefeuille mais sur la qualité d'âme et de c½ur, sur la grandeur de l'amour et de la foi. »
La deuxième leçon c'est la réponse de Jésus sous forme de parabole. Jésus va expliciter sa véritable mission. Le seul héritage dont il est le messager est l'amour du Père, la seule vraie richesse est de s'enrichir selon Dieu. Il explicitera cela par la petite parabole de l'homme qui agrandit ses greniers. Cet homme travaille. Il accumule des céréales en été, des olives et du vin en automne. Par-là Jésus montre qu'il sait que l'être humain doit se nourrir, se vêtir, se protéger, organiser son travail, le bien gérer et lui faire porter du fruit. Mais tout cela, dit Jésus, n'assure pas le bien suprême. Jésus ne condamne pas la matérialité des richesses mais la folie de la cupidité à propos des richesses. L'avidité ou l'âpre recherche des biens matériels pour eux-mêmes, la convoitise dans le danger de leur accumulation. Il ne faut pas s'asservir aux richesses et oublier de servir le Seigneur, thésauriser pour soi-même mais le faire en vue des richesses du Royaume. Il s'agit de s'enrichir aux yeux de Dieu en se laissant enrichir par Jésus des dons d'en haut parce que nous n'emporterons rien avec nous. Les linceuls n'ont pas de poche ! Jésus nous dit de ne pas confondre les richesses avec notre vraie destinée éternelle, les résidences secondaires avec notre seule et dernière résidence céleste, les paradis fiscaux avec le vrai Paradis. Placez, dit Jésus votre assurance, votre sécurité, votre espérance non pas dans vos bijoux, votre compte en banque ou vos avoirs mais placez-les aussi et définitivement en Dieu.
L'Evangile attaque le problème des biens de ce monde au niveau le plus profond. Que le souci du bien-être personnel dont nous serons un jour dépouillé, ne nous fasse pas perdre le sens de Dieu et de l'au-delà, ni celui des autres et de leurs besoins, ni le sens de nous-même. Engranger selon Dieu c'est mesurer dans la foi l'effort qui requiert notre gagne-pain et le faire ; mesurer notre liberté à juger et à décider de nos actions et le faire ; mesurer le temps qu'il nous faut consacrer à Dieu et le prendre.
Ce message nous propose une nouvelle manière de vivre. Nous le recevons dans un univers de crise. Dans les difficultés présentes, les désordres politiques et économiques, quand les dirigeants annoncent des restrictions et lancent des programmes d'austérité, nous nous rebiffons. Nous n'aimons pas ce qui touche négativement à notre niveau de vie parce que cela compromet un équilibre financier déjà si fragile et précaire et difficilement acquis.
Cependant, essayons d'entendre le message évangélique de ce jour. Il est d'une grande sagesse humaine et religieuse. Il ne nous donne pas une leçon de dés½uvrement ou de fatalisme qui nous ferait attendre tout de Dieu. Le Seigneur nous demande simplement de mesurer avec intelligence, dans la foi, l'énergie qu'exigent la bonne conduite de notre existence, la grandeur de notre liberté responsable et solidaire, enfin, l'attention constante à garder envers les valeurs d'éternité. Ce sont elles qui doivent nous aider à faire le tri entre le souci des biens terrestres, l'enjeu de la liberté et les préoccupations des richesses éternelles. Serons-nous esclave de l'argent ou ami de Dieu ? Idolâtre ou serviteur ? Si nous ne sommes riches que des biens matériels ou que de nous-même, pauvres de nous !