Il y a un peu plus d'un an, à la sortie d'une célébration dominicale, une dame âgée de plus de quatre-vingts ans me posa la question suivante : " Frère, que pensez-vous de la fidélité ? ". J'ai d'abord sursauté me demandant si elle avait été rattrapée par le démon de minuit puis m'étonnant de sa question, je lui répondit également par une question : " pourquoi me demandez-vous cela Madame ? ".
Sa réponse fut cinglante : " voyez-vous, Père, depuis bientôt un peu plus de cinq ans mon mari est atteint de la maladie d'Alzheimer. Nous avons eu six enfants ensemble et il ne se rappelle plus de rien. Il vit toujours à la maison et je vous assure que ce n'est pas évident. Ce matin encore lorsque je suis descendue, il m'a regardé et m'a dit : " que faites-vous dans ma maison Madame, je vous prie de sortir ? ". C'est dur d'entendre de tels mots de la bouche de l'homme que j'ai aimé. Son corps est toujours là mais son esprit n'est plus présent. Je suis à bout de force. Alors Frère, je vous repose ma question : dans ma situation, qu'est-ce que cela veut encore dire d'être fidèle ? " Je suis resté, sur ce parvis d'église, sans voix, sans réponse. Et je lui ai demandé de me laisser quelque temps pour réfléchir. Quinze jours après cette conversation, elle est tombée chez elle et un mois plus tard, elle s'est endormie dans la mort sans que j'ai pu lui répondre. Et je ne suis pas sûr à ce jour que j'aurais pu lui proposer une réponse satisfaisante.
En effet, la fidélité est un concept qu'il n'est plus aisé de définir dans une société comme la nôtre où le temps a été griffé à l'instar d'un vieux disque vinyle, vous savez : l'ancêtre de nos CDs d'aujourd'hui. Un peu comme si le temps devait tourner sur lui-même, ne plus avancer car seul l'éphémère a encore droit de citer. La fidélité vit des heures difficiles là où il est important que le temps ne dure jamais trop longtemps tellement nous risquons de nous lasser de l'instant présent. Voici un exemple illustrant cette affirmation. Toutes et tous, lors de certains d'achats, nous faisons l'expérience de découvrir qu'avant même avoir payé le bien acquis, celui-ci est déjà techniquement dépassé. Nous volons alors de désirs en désirs, d'immédiateté en immédiateté sans plus laisser du temps au temps. Or la fidélité ne peut exister que dans l'espace temps. Sans ce dernier, elle s'estompe, elle se meurt. Dans cette partie du monde, celle où nous vivons, tout est fait pour que nous puissions nous anesthésier de la vie, c'est-à-dire ne plus prendre conscience du temps qui s'écoule grâce à tous ces faux-semblants qui prétendent nous conduire à des bonheurs plus grands mais toujours éphémères.
Vivre de la sorte, c'est d'une certaine manière se croire immortels. Nous allons de cycles de vie en cycles de vie. Or Dieu, par la venue de son Fils ne nous convie pas à l'immortalité mais plutôt à l'éternité. Le temps du Dieu de Jésus-Christ n'est pas cyclique mais linéaire. Pour chacune et chacun de nous, nous sommes entrés dans le temps de Dieu par notre conception. Nous vivons nos vies en les inscrivant dans le temps de l'histoire de l'humanité et la mort est pour nous l'entrée dans une vie éternelle. Ainsi la fidélité conduit bien à l'éternité, don divin par excellence. Dieu attend de nous que nous soyons des êtres fidèles à cette foi qui nous habite et nous anime.
D'ailleurs, foi et fidélité ne sont-ils pas synonymes dans leurs racines ? Comme si la foi ne pouvait exister sans fidélité. Une fidélité qui pourra être traversée de doute, de questionnements. Une fidélité qui ne se nourrit pas seulement de bons sentiments. Elle exige un bonne dose de courage, quelques pincées de ténacité, le tout assaisonné de confiance et de volonté. Et elle se réalise dans l'amour. La fidélité n'est pas une attitude statique, la fidélité est une aventure. Celle de la vie, celle de Dieu. C'est pourquoi, Jésus nous dit en ce jour : " restez en tenue de service, gardez vos lampes allumées, soyez en train de veiller, tenez vous prêts ". De cette fidélité à vivre, nous avons la promesse du don de l'éternité où Dieu nous servira chacun à notre tour. Alors, il nous laisse avec ces question : immédiateté ou fidélité ? immortalité ou éternité ? C'est en répondant correctement à cette question, que nous pourrons-nous dire les uns aux autres : heureux sommes-nous car nous sommes devenus des aventuriers de la vie, des aventuriers de Dieu.
Amen.