19e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2008-2009

Thomas Edward Lawrence, mieux connu sous le nom de Lawrence d'Arabie vient un jour rendre visite à un de ses amis Thomas Hardy, poète renommé.  Ce jour-là, comme il servait dans la RAF, il était venu en uniforme d'aviateur.  Se trouvait également présent l'épouse du Maire de Dorchester.  Cette dernière était profondément vexée de devoir passer du temps avec un soldat, ignorant tout à fait à qui elle avait affaire.  Elle se tourna vers la femme du poète et lui dit en français que de toute sa vie elle n'avait jamais été obligée de devoir prendre le thé avec un simple soldat.  Personne ne dit rien puis Lawrence d'Arabie, dans un parfait français, se tourna vers la femme du Maire et lui dit : « excusez-moi madame, puis-je vous être d'une quelconque utilité en me faisant votre interprète car Madame Hardy ne connaît pas un mot de français ».  La femme suffisante et peu courtoise ne savait plus où se mettre tellement elle avait jugé sur les apparences et s'était trompée sur la personne qui était face à elle.

Il en va de même avec les contemporains de Jésus qui ne peuvent imaginer un instant que ce fils de Joseph est également le Fils de Dieu et qu'il vient à nous pour nous annoncer une merveilleuse nouvelle : il est le pain vivant descendu du ciel.  Un pain que ne se pétrit pas mais qui se donne entièrement, sans aucune restriction.  Un don du Ciel offert à chacune et chacun d'entre nous.  Mais quel est donc ce pain vivant si merveilleux dont le prix est à ce point inestimable qu'il nous est offert en toute tendresse par le Père ?  Le plus beau cadeau qu'un être humain puisse recevoir est la vie.  Le deuxième plus beau cadeau est lorsque cette vie peut se vivre au son de la musique de Dieu, c'est-à-dire lorsque nous faisons de Lui, l'unique voie à suivre, la seule nourriture substantielle qui vaut la peine.  En d'autres termes, lorsque nous décidons de répondre à l'invitation de la foi, la vie n'est pas qu'une simple réalité biologique qui commence à la naissance et se termine à l'heure de notre mort.  Dans cette perspective précise, le pain ne serait qu'une pure nécessité nous permettant de passer d'un jour au suivant.  Il en va tout autrement du pain vivant descendu du Ciel.  Ce pain fait de nous des êtres vivants même si nous sommes confrontés à la réalité de la maladie ou à certaines faiblesses inhérentes à notre condition physique.  Comme le soulignait Saint Irénée, au deuxième siècle déjà : la plus grande gloire de Dieu, c'est l'homme vivant.  Oui, par Dieu dans le Fils et soutenu par l'Esprit, nous sommes des êtres vivants.  Et la vie qui nous est promise se nourrit principalement d'un carburant bien spécifique et tellement divin.  Il s'agit de l'amour.  Le pain vivant n'est donc rien d'autre que cette capacité de pouvoir nous décentrer de nous-mêmes pour entrer dans une autre dimension de la vie qui ne se réalise que dans la rencontre de l'autre.  Le pain descendu du ciel est une manne de tendresse divine qui vient éclairer nos vies pour que nous puissions à notre tour être des luminaires d'amour partout où nous sommes et ce, quelles que soient nos situations personnelles.  Voilà la richesse du pain vivant.  Il ne tient pas compte de nos fragilités personnelles car il se laisse précisément rencontrer au c½ur même de celles-ci.  L'amour est fragile, l'amour nous rend fragiles puisque nous devenons dépendants de celles et ceux en qui nous déposons notre propre c½ur.  Et pourtant, c'est cet amour-là qui prend sa source en Dieu et qui vient à nous aujourd'hui encore.  Le Père s'est révélé à nous par le biais d'un charpentier.  Il n'a pas eu besoin des honneurs d'une société pour s'incarner.  Depuis l'événement de la Pentecôte, le Père continue de se révéler à nous par le biais de qui nous sommes lorsque nous devenons à notre tour pain vivant, pain d'amour les uns pour les autres.  Et c'est sans doute la raison pour laquelle ce pain nous ouvre le chemin de la vie éternelle.  Jésus nous le confirme : « si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement ».  Et l'autre bonne nouvelle de ce jour est que l'éternité n'est pas pour demain, elle est déjà commencée.  Si nous vivons du pain de l'amour, nous avons déjà entamé notre vie éternelle.  Notre vie s'inscrit dans une nouvelle dimension.  Lorsque le frère Timothy Radcliffe prend l'avion et que l'hôtesse à l'aéroport en préparant son ticket lui demande si « Londres est sa destination finale », il se plaît toujours à répondre.  Non, ce n'est pas Londres, j'espère que ma destination finale sera le Paradis.  Pour que cette destination-là devienne également la nôtre, il nous suffit désormais de nous nourrir d'abord et avant tout du pain vivant, du pain de l'amour.  Il s'agit du pain de Dieu qui nous ouvre la voie de la vie éternelle.

Amen