Permettez-moi de râler quelques instants. Foutu Carême. Nous voilà reparti pour 6 semaines de privation, d'épreuves, d'objectifs à atteindre. Un bol de riz par ci, pas de chocolat par là, j'en passe et des meilleures. C'est vrai quoi, Jésus, d'accord il a été tenté dans le désert pendant 40 jours. Ca n'a pas du être rose tous les jours, se faire tenté comme il s'est fait tenté c'était pas évident. Mais enfin, il n'a du le faire qu'une seule fois dans sa vie. Alors que moi, c'est mon 32ème Carême, 32ème fois que je suis obligé de vivre cette traversée du désert, de me priver, de faire un effort, d'être gentil avec les autres. Et si vous êtes plus âgé que moi, je vous plains encore plus. Quand je pense que ma grand-mère va vivre ce Carême pour la 91ème fois. J'en ai les larmes aux yeux, même s'il paraît que les conditions de privation sont plus souples après 60 ans, en Belgique en tout cas, selon José Lhoir. Plus que 28 Carêmes à attendre un assouplissement.
Oui mais finalement, est-ce que le Carême est vraiment le moment de l'année qui m'est offert pour râler un bon coup ou bien y-a-t'il autre chose. L'an passé, à la même époque je me trouvais au sud du Rwanda dans un camp de réfugiés du Burundi. Ils étaient plus ou moins 500 jeunes de 15 à 25 ans. L'ONU leur donnait une ration de nourriture par jour : 120 grammes de haricots et c'était tout. Ils avaient tout perdu. Lorsque l'on m'a demandé de célébrer le Mercredi des Cendres avec eux, je me voyais mal commencer à parler de privation, de jeûne et d'abstinence. Non le Carême signifie autre chose. Surtout quand je les entendais chanter avec un tel plaisir, je les voyais rayonner de bonheur parce qu'ils se mettaient en route pour Pâques. Ils ont donné sens aux six semaines que nous sommes invités à vivre. Reprenons alors ensemble les diverses tentations de l'Evangile.
Le démon dit : "si tu es le Fils de Dieu ordonne à cette pierre de devenir du pain". Jésus refuse de jouer au magicien. Il ne sera pas le David Copperfield de la Trinité. Il ne pouvait accepter cela car il a pris notre condition humaine sans protection sans pouvoir spéciaux. Il ne fallait pas qu'il devienne un surhomme. Un surhomme n'aurait pas pu nous dire : "Viens, suis-moi". Cela aurait été au-delà de nos forces. La conversion par la magie, c'est une forme de pot-de-vin pour vous faire croire. De cela, le Christ n'en veut pas. Non à la conversion par la corruption. La rencontre avec le Père, doit se vivre en vérité. C'est le coeur qui est atteint non un sentiment éphémère.
La seconde tentation pourrait s'intituler la tentation du compromis. C'est comme si le démon lui disait : J'ai tous ces gens sous ma coupe. N'exige pas trop d'eux. Faisons un affaire ensemble. Juste un petit compromis avec moi, et les hommes te suivront et tu en feras ce que tu voudras. Le compromis, s'il y bien une nation qui vit de compromis c'est la nôtre. Au regard des valeurs humaines, le compromis permet à l'humanité de vivre dans une certaine sérénité. En termes de couleurs, la tendance humaine est de voir les choses en gris, alors que pour le Christ, la Vérité doit être vécue comme blanche ou noire et pas entre les deux. Il n'y a pas de compromis possible entre le bien et le mal. Nous sommes tout simplement appelés à aimer, oui mais à aimer sans condition, à donner l'espace à l'autre pour que lui aussi puisse exister.
Enfin la troisième tentation peut se résumer à la tentation d'offrir des sensations. Le sensationnel plaît toujours, il fait chavirer, il donne du piment à l'existence, c'est un peu le cancan à mille francs. Le Christ avait cependant compris que le sensationnel, même s'il est facile à réaliser, ne dure pas dans le temps. Du sensationnel on s'en lasse, et ce n'est sans doute pas pour rien que les journaux qui s'en délectent se voient obliger d'inventer chaque semaine des histoires pour garder leur public. De cela, le Christ n'en veut pas.
Pas de corruption, pas de compromis, pas de sensation : voilà le sens du Carême. Un appel, un chemin à retrouver le sens premier de notre humanité : aimer, aimer en vérité. Amen