1er dimanche de l'Avent, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Avent
Année liturgique : A
Année: 2001-2002

Il y a un peu plus de vingt ans, le Collège où j'allais n'était composé que de garçons. Vous imaginez ma joie d'aller suivre les cours de solfège à l'académie de musique qui, elle, était mixte. C'est là que je découvris le plaisir d'être avec l'autre moitié de l'humanité. Et dire qu'un jour je devrais choisir une d'entre elles parmi plus de trois milliards, six cents millions, sept cent soixante-huit mille huit cent quatorze autres femmes. Comme quoi, lorsqu'on relativise un peu, finalement entre le religieux que je suis et ceux qui ont choisi de se marier, la différence n'est que d'une seule personne. Pourtant ce n'est pas sur ce point précis que je voudrais m'entretenir avec vous en ce premier dimanche de l'Avent, temps de l'attente par excellence. Non, je voudrais revenir à cette époque de ma vie et me rappeler le souvenir suivant, qui d'après mes nombreuses recherches existe encore aujourd'hui parmi la jeune génération : lorsque je souhaitais déclarer ma flamme à l'élue de mon c½ur, je me faisais toujours un scénario préalable où j'envisageais tout dans les moindres détails : j'attendrais ce moment-là, nous irions à cet endroit précis et là, je lui dirais tout ce que je voulais lui dévoiler. Pour être honnête, cela ne s'est jamais passé comme je l'avais prévu. Tout simplement parce que mon scénario je l'écrivais toujours seul, tandis que la rencontre était à deux et en plus, il suffisait qu'elle-même se soit mise à écrire son propre scénario pour que la situation devienne plus cocasse encore.

En lien avec l'évangile de ce jour, il y a lieu de souligner qu'entre le scénario rêvé et le moment tant attendu, il y a tout ce temps d'attente où tout notre être est tendu vers la réalisation de ce désir. Toutes et tous nous avons des attentes et des désirs, sinon me semble-t-il la vie n'aurait plus aucun sens d'être vécue. Même si nous n'avons pas d'attentes spécifiques, nous avons au moins l'attente de la béatitude subjective par excellence : l'attente de la vie, c'est-à-dire l'attente d'être heureux. Vivre du désir de bonheur. Le bonheur ne se contrôle pas, il surgit dans nos vies surtout lorsque nous décidons de ne pas tout dominer, maîtriser. C'est quand nous arrêtons de contrôler nos vies que celles-ci se mettent à vivre. Etonnant ? Je ne le crois pas. Un désir trop précis, trop calculé risque de décevoir. Combien de films, de soirées où nos attentes étaient à ce point que nous en sommes ressortis déçus. Une attente trop grande risque d'être une atteinte à ma liberté intérieure. J'attends tellement que je reste en permanence sur le qui-vive. Je ne me détends pas, j'attends sans pour autant me laisser surprendre. Je suis à la quête d'une émotion forte qui tarde à venir pour s'éteindre à jamais dans un désir inassouvi. C'est bien la déception qui fait suite à une trop belle image du résultat de nos attentes. La recherche d'émotions fortes, la quête incessante de l'excès, nous conduisent immanquablement à une désillusion quant au bonheur à atteindre. Nous pouvons également passer à côté de ce dernier lorsque nous ne laissons pas le temps au temps de l'attente. Le désir assouvi instantanément, cette immédiateté érigée en valeur de société nous offrent des temps de plénitude de très courte durée.

Puissions-nous alors, chacune et chacun, au c½ur de nos histoires respectives, découvrir tant les bienfaits du temps de l'attente que le désir de désirer toujours et à jamais mais cette fois sans contrôler. Laisser advenir en moi l'événement pour que chaque instant soit vécu comme une aubaine de vie. Laisser advenir en moi l'autre pour qu'à chaque rencontre il et elle deviennent toujours un peu plus eux-mêmes. Laisser advenir en moi Dieu pour que lorsqu'il reviendra, à l'heure à laquelle je n'y penserai pas, je puisse d'abord le reconnaître et ensuite l'accueillir. Nous sommes entrés dans ce temps de l'attente de son retour. Nous n'y pensons pas tous les jours. Mais de temps à autre nous l'imaginons : reviendra-t-il, le Fils de l'Homme, avec une barbe, les cheveux longs, la toge un peu déchirée et des sandales aux pieds tel qu'il nous a toujours été présenté ? Ou comme le faisait remarquer (une jeune fille de notre paroisse) une de celles qui a préparé cette célébration : " il serait blond et en complet veston, cela ne m'irait pas du tout ". Afin d'éviter une déception lors de cette rencontre divine, ne nous mettons pas à envisager son retour dans les moindres détails, faisons de la place en nos c½urs pour qu'il puisse surgir, survenir en nous. Dieu est tellement différent de moi, que je ne puis l'imaginer. Il ne peut donc pas me décevoir. J'ai à lâcher prise, à m'abandonner pour être régi par un désir assez pur qui me permettra de me dire lorsqu'il reviendra : oui, Seigneur, c'est bien toi. Et en attendant ce jour, pour vivre de manière sereine l'attente de ce désir, nous sommes conviés à revêtir le Seigneur Jésus Christ nous dit saint Paul, c'est-à-dire revêtir cet habit de lumière reçu le jour de notre baptême pour qu'à notre tour nous donnions de la lumière à la vie. Amen.