22e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2001-2002

Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, en tout cas, je trouve Pierre l'apôtre le plus sympathique de toute la bande des disciples de Jésus. Il m'est sympathique car je le trouve un peu " lourdeau ". C'est vrai, il ne comprend rien à la personne de Jésus. Il l'aime, il le suit mais qu'est-ce qu'il trébuche sur cette route : il veut que le Christ libère Israël de la domination, il le trahit, il a besoin d'être rassuré en demandant par trois fois si Jésus l'aime. Pierre a un côté vraiment touchant et c'est pourtant à lui que le Christ confie les clefs de l'Eglise.

C'est plutôt rassurant de découvrir cela. En effet, en prenant exemple sur Pierre, nous savons que même si nous trébuchons sur notre chemin de foi, Dieu est là pour nous aider à nous relever. Dans ce passage entendu, l'erreur de Pierre était de ne pas permettre à Jésus d'être qui il était. Il avait fait un rêve d'un Christ libérateur. En projetant ses propres fantasmes, il devient un obstacle à l'avènement du Fils de Dieu. Peut-être finalement que Pierre n'avait pas compris qu'entrer dans une démarche d'amour c'est accepter une part de souffrance en soi. Je n'affirme pas qu'aimer c'est souffrir, mais je crois qu'il y a une certaine part de souffrance dans toute forme d'amour et d'amitié. Une souffrance marquée par une déception possible dans la découverte de ce qu'est l'autre en vérité. L'être aimé souvent comble un ensemble de nos manques et c'est pourquoi une certaine alchimie permet la rencontre.

Mais il ne comble jamais la totalité de nos manques. Il ne sera jamais plénitude qui nous comble entièrement sinon nous entrerions dans une relation fusionnelle au risque d'étouffer l'amour naissant. C'est sans doute la première déception à intégrer, aucun être au monde ne nous comblera jamais totalement. Et c'est tant mieux car l'altérité se conjugue toujours au pluriel avec des degrés divers en fonction des relations qui tracent leurs sillons comme un bonheur à vivre. La seconde déception est peut-être celle de l'acceptation de l'autre tel qu'il est en vérité. Je t'aime toi tel que tu es non pas celui ou celle que je voudrais tant que tu sois.

Acceptant mes propres fragilités, j'ai à apprendre à aimer les chemins sinueux de l'autre. Lui permettre d'évoluer, de grandir à son propre rythme et non pas au mien. Le laisser pleinement devenir qui il ou elle est. Permettre à l'autre de marcher ainsi sur sa propre route, peut également être une cause de souffrance, de déception. Et pourtant, telle est l'essence de l'amour et de l'amitié. Ne pas oser faire ce chemin intérieur, c'est enfermer l'autre dans une image que nous nous faisons de cet être aimé. Il devient un rêve, c'est-à-dire l'ombre de lui-même.

S'il en va ainsi entre nous, il y a un risque qu'il en aille de même avec Dieu. Il peut nous arriver de nous mettre à croire à un Dieu à notre image, oubliant par là que nous avons, nous, été créés à l'image de Dieu. Ne renversons pas les rôles. Si nous nous enfermons dans une telle spirale, nous nous mettons à envisager Jésus comme étant un Dieu répondant à certaines de nos attentes pour nous-même ou pire pour les autres. Or, comme l'écrit si bien Pierre Imberdis : Jésus n'a jamais dit : éteignez les lumières, faites taire vos instruments, vivez dans l'ascétisme et la sévérité. Enfermez-vous dans une sombre pièce et priez à genoux pour être pardonnés. Il n'a jamais dit non plus : élevez vos enfants dans la crainte d'un Dieu qui juge et punit. Non, Jésus n'a jamais dit tout cela.

Par contre, il nous dit : " si quelqu'un veut marcher derrière moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive ". Certains pourraient y entendre un certain masochisme à marcher dans les pas de Dieu. Or je crois que c'est beaucoup plus simple, plus beau. Renoncer à soi, c'est renoncer à toutes nos projections sur les autres et sur Dieu. C'est permettre à chacune et chacun ainsi qu'à Dieu d'être véritablement soi. Quant à prendre sa croix, ce n'est pas quelque chose de lourd mais bien de léger. C'est vivre sa vie dans l'amour tout simplement. Comme si Jésus nous disait : prends le risque : aime et fais ce que tu veux. N'ai pas peur de briser la loi du troupeau pourvu que l'amour te guide. N'aie pas peur de te jeter dans la vie, je suis là avec toi pour apprendre à aimer. Si c'est cela aimer Dieu tel qu'il est en aimant les autres tel qu'ils sont, alors heureux sommes-nous d'être nous aussi, à notre manière, des disciples de Jésus.

Amen.