D'après une étude faite par l'école de criminologie de l'université de Louvain, il y a quelques années, il a été découvert que si l'un d'entre nous est agressé, il ne doit surtout pas crier " au secours ". Cette simple expression semble inviter beaucoup de gens à venir voir discrètement ce qui se passe mais sans pour autant passer à l'action de peur d'être agressé soi-même. Lorsqu'ils sont interrogés, ils prétendent n'avoir rien vu, ni entendu, alors que certains étaient restés regarder derrière leurs rideaux. Une forme de voyeurisme malsain. Si ce genre de mésaventure nous arrive, il est, toujours selon ces chercheurs, préférable de crier " au feu ". En effet " au secours " ne concerne que la victime tandis que " au feu ", c'est peut-être nous tous qui sommes concernés. Nos biens pourraient être touchés par les flammes et nous voulons nous en assurer.
Il n'y a évidemment pas lieu de généraliser ces attitudes et je sais que certains dans cette assemblée ont dans leur vie eu des comportements courageux où ils n'ont pas craint de prendre des risques pour d'autres. " Au secours " nous paralyse, " au feu " nous mobilise. Deux mots peuvent ainsi changer la destinée d'une personne. C'est tellement paradoxal.
Et voilà qu'aujourd'hui l'évangile nous fait découvrir qu'il existe d'autres feux dans la vie. Il y a bien évidemment celui des flammes mais il y a aussi un feu intérieur qui peut nous consumer petit à petit tellement nous glissons sur cette pente de la vie qui peut conduire à une véritable fournaise de laquelle nous ne savons pas toujours comment en sortir. Si cela nous arrive, il nous reste à espérer que nous aurons autour de nous des personnes prêtes à nous aider, à nous interpeller dans la douceur pour que nous puissions ouvrir nos yeux et prendre conscience de ce qui nous arrive et vers où nous allons. Et ce, d'autant plus que parfois tout cela est tellement inconscient que nous ne nous rendons compte de rien.
Puissions-nous chacune et chacun être entourés de guetteurs vigilants, à l'instar d'Ezékiel dans la première lecture. Des guetteurs qui nous aiment et qui au nom de cet amour se lèvent et viennent vers nous pour nous prendre la main et nous ouvrir vers un nouveau chemin. Tout simplement car, comme le clame Saint Paul, " les commandements se résument dans cette parole : tu aimeras ton prochain comme toi-même. L'amour ne fait rien de mal au prochain. Puisque l'accomplissement parfait de la loi, c'est l'amour ". C'est donc dans l'amour que cela doit se vivre. Mais si des guetteurs nous entourent, cela signifie également que nous avons à être guetteurs pour d'autres. Et là les choses peuvent parfois se compliquer un peu surtout dans notre société qui prône l'individualisme comme une valeur sûre. Et je crois qu'à ce niveau, elle se trompe lourdement. L'individualisme nous permet effectivement de nous dire " chacun fait ce qu'il veut ", " si c'est ce qu'il souhaite " voire même " à chacun ses problèmes ".
Et j'en arrive alors à ne plus m'occuper des autres non pas par respect pour eux mais surtout pour que ces derniers ne me remettent pas non plus en question. Je les fuis tout en me fuyant. Cet individualisme conduit également à nier la valeur sociale de nos actions. Il est vrai qu'il est tellement plus facile de parler des autres, que de s'adresser à l'autre. Et pourtant, pourtant, c'est ce que l'évangile nous invite à vivre sans aucune concession. Si ton frère a commis un péché, c'est-à-dire s'il pose des actes qu'il empêche de devenir lui-même, de se réaliser sur cette terre, s'il entre en rupture d'alliance avec lui-même, avec les autres, ou encore avec le Tout Autre, va lui parler seul à seul et montre-lui ses torts. Cela ne veut pas dire l'accuser, le culpabiliser, devenir moralisateur. Non c'est être capable d'entrer en tendresse, d'illuminer sa route pour qu'il découvre par lui-même la souffrance dans laquelle il s'engage.
Cela nous demande à la fois courage et discrétion, douceur et vérité, patience et déception. Nous semons en lui quelque chose de l'ordre de l'indicible pour qu'un jour, quand il l'aura décidé, il se relève de lui-même. Nous avons une tâche à réaliser : permettre à chacune et chacun de se mettre debout lorsqu'il ou elle trébuche. De la sorte, suivre le Christ ce n'est plus être spectateur mais acteur de notre vie en étant guetteur de celle des autres. Amen.