Mt 18, 21-35
Il y a quelques années, lors d'une retraite en Côte d'Ivoire, une dame expliquait : " J'aime beaucoup le Notre Père ; ... mais pas tout ! C'est facile et c'est beau : que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne.... Donne-nous aujourd'hui, oui, oui, beaucoup, et encore demain.... Pardonne-nous... nous en avons fort besoin. Comme nous pardonnons ! Là, je m'arrête net ; depuis dix ans, ça bloque, ça ne passe pas. " Si nous étions vraiment attentifs aux mots que nous prions, nous pourrions souvent avouer la même chose. Comme ce monsieur qui priait, mais je crois plutôt qu'il blaguait en disant cela : " Seigneur, délivrez-moi de mes amis ; mes ennemis je m'en charge ! " Pardonner est difficile. Le pardon, comme l'amour, ne se commandent pas. Pourtant, le Christ en a fait des commandements. Le pardon est comme la fine pointe, l'expression la plus parfaite de l'amour. Je crois que, souvent, nous comprenons mal la parole de Jésus : " Si vous ne pardonnez pas, votre Père non plus ne vous pardonnera pas. " Et nous voyons une condition dans la demande du Notre Père : " Pardonne-nous comme nous pardonnons ".
L'évangile vient remettre les choses en place. Le sens de la parabole est évident : " Je t'avais remis toute ta dette, parce que tu m'avais supplié. Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon ? " Le pardon vient de Dieu. Jour après jour, nous sommes constamment plongés dans le bain de la tendresse et de la compassion de Dieu, Père qui aime ses enfants et connaît leur bonne volonté et leurs faiblesses et, jour après jour, leur propose renouveau et réconciliation. Nos pardons sont comme des gouttelettes qui rejaillissent de la fontaine sans cesse jaillissante de l'immense pardon de Dieu sur l'humanité, réponse à la prière de Jésus : " Père, pardonne-leur ; ils ne savent pas ce qu'ils font ". Les petits ou grands pardons que nous accordons sont possibles grâce à la surabondance du pardon de Dieu. Pardonnant parce que nous sachant pardonnés.
Il n'empêche, le pardon reste difficile. " J'essaie, et je n'y parviens pas ; j'ai beau le demander à Dieu : l'autre m'en a trop fait voir. Pardonner oui, oublier, jamais (ce qui souvent signifie : je n'ai pas pardonné !) " Nous connaissons tous cela. Eh bien, Jésus nous donne comme un truc (passez-moi l'expression) pour pardonner : " Aimez vos ennemis ; priez pour ceux qui vous font du mal. " Avez-vous des ennemis ? ... La plupart répondront, un peu hésitants : non. Je n'ai pas peur de le dire : " J'ai des ennemis ". L'ennemi, c'est celui m'a fait ou qui me veut du mal, qui cherche à me nuire ou, à la limite, dont je crois qu'il me veut du mal. Compris dans ce sens-là, j'ai eu des ennemis et j'en ai encore. Mais je m'efforce de n'être l'ennemi de personne. Comment ? Pas avec un sourire Pepsodent hypocrite, mais d'abord simplement en priant, le coeur peut-être encore plein de colère, de rancune et d'amertume : " Seigneur, celui-là, celle-là...ce voyou (n'ayez pas peur de le dire !), bénis-le ; je ne peux pas le voir ; mais toi, regarde-le ; c'est ton enfant. " Ne demandez pas qu'il devienne ceci ou cela ; jetez-le seulement sous le regard et dans les mains de Dieu ; invoquez sur lui le nom de Jésus. Rien de plus. Mais répétez cette prière ; alors, insensiblement, notre regard sur l'autre change : nous n'oublions rien ; mais lentement nous commençons à voir l'autre avec le regard de Dieu ; et notre c½ur s'apaise. Nous entrons dans le chemin du pardon.
Un jour, au couvent de Rennes, j'expliquais cela. A la sortie de la messe, un dominicain m'a dit : " C'est la première fois que j'ai prié pour le président. " Je ne vous dirai pas en quelle année c'était ; vous ne saurez pas le nom du président, ni celui du frère ! Avez-vous jamais prié pour Ben Laden, Saddam Hussein ou Bush ? Il n'est pas trop tard, ils en ont bien besoin, comme beaucoup d'autres. Plusieurs parmi vous connaissent certainement le " rite zaïrois de la messe ". Au-delà de la danse, des chants et gestes, cette liturgie contient de grandes richesses. Notamment la liturgie pénitentielle ou de réconciliation. Le " Je confesse... et Seigneur, prends pitié " ne sont pas situés en début de célébration où, reconnaissons-le, assez souvent ils tombent plutôt à plat, mais après l'homélie. La parole de Dieu nous aide à prendre conscience de nos limites et de nos faiblesses ; même en un jour de grande fête, c'est tout naturellement que nous pouvons alors invoquer le pardon de Dieu. Le pardon et la paix reçus de Dieu, nous sommes invités à nous les partager les uns aux autres.