Ce passage de l'évangile m'a toujours embêté ! Il ne colle pas suffisamment à l'image de Jésus que nous gardons spontanément dans notre esprit : une personne tellement habitée par l'Esprit de Dieu qu'elle se laisse toucher par toutes les misères et les détresses humaines, venant au secours de tous les malades dont les évangiles sont peuplés.
Mais dans le récit que nous venons d'entendre, Jésus est dur, cassant, comme indifférent aux cris de détresse de la Cananéenne. « Aie pitié de moi, Seigneur, fils de David ! Ma fille est tourmentée par un démon. » Mais Jésus ne répond rien. Même aux disciples qui commencent à se dire que cette femme en fait un peu trop et que Jésus devrait au moins la contenter pour en être débarrassée, Jésus ne répond que par une sentence qui semble sans arrêt : « Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues d'Israël ». Jésus met un terme aux interpellations de la femme et de ses disciples. Il ne veut rien faire pour cette femme. Pourquoi cette attitude chez Jésus ? Fait-il semblant d'être dur et indifférent pour mieux susciter la foi chez la Cananéenne ? Je ne le pense pas. A cause de la loi de l'Incarnation. Dieu n'a pas fait semblant d'être un homme, il l'est devenu totalement, comme chacun d'entre nous. Et Jésus, ce Dieu fait homme, a connu, lui aussi, et tout aussi réellement que nous, le poids des préjugés, des exclusions culturelles, nationales ou religieuses. Le sentiment que Jésus a de sa mission l'enferme jusqu'ici dans les limites du monde juif. C'est pour les brebis d'Israël qu'il est venu et il n'entend pas y déroger.
Mais Dieu qui avait déjà dit par la bouche du prophète Isaïe : « Les étrangers qui se sont attachés au service du Seigneur, je les conduirai à ma montagne sainte, je les rendrai heureux dans ma maison de prière ». Jésus l'avait lu comme il connaissait parfaitement les Ecritures. Mais il n'avait pas encore compris que cette Parole lui était aussi adressée afin qu'il se tourne également vers les païens. Dieu a donc été obligé de le lui rappeler par la bouche, non plus d'un prophète, mais d'une étrangère, d'une païenne, d'une femme. Une femme a converti Jésus !!! En utilisant la comparaison de Jésus entre les païens et les petits chiens, la Cananéenne force Jésus à reconnaître l'étendue de sa foi : « Femme, lui dit-il, ta foi est grande, que tout se fasse pour toi comme tu le veux ! »
Jésus reconnaît - enfin - que la foi dépasse les frontières nationales ou même religieuses. Car on ne dit pas que cette femme est devenue juive, mais que simplement elle a cru que cet homme Jésus était capable de sauver ce qu'elle a de plus cher en cette vie, sa propre fille. Si nous voulons prendre cette page d'évangile au sérieux dans notre réflexion et dans notre vie, nous sommes invités à reconnaître que Jésus lui-même a dû se convertir, changer de mentalité, de préjugé. Il a dû se laisser interpeller, déstabiliser par une femme. Pour lui, comme pour nous, Dieu ne parle jamais aussi bien qu'au travers d'un cri ou d'une interpellation que nous adresse un autre humain, qu'il soit proche ou non, comme cette étrangère. Dieu nous parle sans cesse dans les Ecritures, mais comme Jésus, parfois, nous ne pouvons entendre que la parole d'une autre personne, surtout quand elle appelle à l'aide. Dans ce cri, c'est la parole même de Dieu qui nous invite à sortir de notre dureté de c½ur, de notre indifférence, mais aussi des préjugés du « qu'en dira-t-on ». Si Jésus a été converti de force par une femme, c'est d'autant plus pour chacun de nous. Chaque jour, quelqu'un nous invite, de gré ou de force, à nous convertir. Chaque jour, quelqu'un de connu ou d'inconnu nous presse de sortir de la prison de notre c½ur ou de notre esprit. Car il y a une attitude, qui est probablement le pire péché, qui consiste, au nom de la Parole de Dieu, à s'enfermer dans l'orgueil et dans l'égoïsme. Combien de nous n'utilisons-nous pas Dieu pour enfermer les autres dans des catégories, pour les exclure, voire même pour les détruire.
Aujourd'hui, Dieu nous donne l'exemple de son propre Fils. Voyez Jésus. J'ai dû lui envoyer une pauvre femme païenne pour lui ouvrir le c½ur, pour le dilater aux dimensions de mon amour, où il n'y a ni limite ni exclusion. Ouvrons donc les yeux et les oreilles, Dieu se tient encore parmi nous sous les traits d'un Cananéen ou d'une Cananéenne !