DU DON DU PAIN AU DON DE SOI
Le récit du chapitre 6 de Jean, étendu sur 5 dimanches, mérite d'abord un résumé succinct car c'est l'enchaînement qui fait sens.
1) Jésus donne du pain à une foule à partir du don d'un enfant.
2) Il refuse le Pouvoir, traverse le lac et permet la traversée houleuse des disciples.
3) Le lendemain, il refuse de refaire le geste ; il oriente vers une autre faim
4) Il proclame : « Je suis le Pain de Vie ; celui qui croit en moi a la vie divine » - La foule hurle - Il réitère sa promesse
5) (texte d'aujourd'hui :sur le même schéma que 4) : Jésus répète qu'il est bien « le Pain de Vie » mais « chair à manger » ! - La foule conteste et hurle de plus belle - Jésus renforce et explique.
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Jésus poursuit : « Je suis le Pain vivant qui est descendu du ciel ; si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c'est ma chair, donnée pour que le monde ait la Vie ».
L'homme de Nazareth n'est pas seulement un prophète de feu, un guérisseur exceptionnel, un meneur de foules, un martyr : il est le FILS venu du ciel (image pour éviter l'emploi du Nom de Dieu). Dieu est SON PERE. Avec lui, les croyants dépassent le statut de disciples vis-à-vis d'un Maître, ils assimilent sa présence en intégrant sa parole, ils croient comme on mange Ainsi le croyant reçoit et a la Vie divine.
Là-dessus Jésus enchaîne en allant encore plus loin. Il explique que ce pain (En hébreu, le mot « pain » peut désigner toute nourriture, tout aliment), ce sera vraiment sa chair qui sera donnée, sacrifiée en vue de donner la vie au monde entier. L'ombre de la croix se profile.
REACTION Evidemment les réactions éclatent de manière extrêmement violente et l'effervescence du groupe monte à son comble :
Les Juifs discutaient entre eux : « Comment cet homme-là peut-il nous donner sa chair à manger ? »
La traduction est édulcorée car Jean écrit : « ils combattaient ». La parole de Jésus suscite une furieuse répulsion, des cris, des hurlements. « Manger sa chair » ? ! Pouah ! Insupportable ! Jamais en Israël on n'a entendu pareille folie, pareille horreur ! L'Eucharistie provoque « la guerre » !! La communauté communiante doit toujours s'attendre à être combattue.
EXPLICATION Or loin d'édulcorer sa déclaration et de s'excuser pour des mots aussi crus, Jésus va renforcer ses affirmations.
Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l'homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n'aurez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la Vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour... »
Alors que AMEN est d'habitude la réponse finale à un enseignement (Amen = c'est vrai, oui), Jésus, dans Jean, commence ses affirmations essentielles en le doublant : Oui, il n'y a pas à douter de ce que je vais énoncer. Et il répète de double façon, négative et positive : « Si non : pas de Vie - Si oui : Vie et résurrection ». L'acte n'est pas imposé, la révélation ne force personne, on ne peut conduire une classe d'élèves à la messe. « SI... ». Celui qui écoute doit réfléchir, mûrir une décision : cela prendra du temps, il faudra lutter contre les objections de la raison, la peur de se tromper, les réticences du voisinage, les moqueries des uns, les colères des autres. Il y aura « combat » comme dans cette foule mise en scène par Jean.
Ensuite Jésus tente de dire en bref les effets de ce « repas »
1. En effet ma chair est la vraie nourriture et mon sang est la vraie boisson.
En hébreu, le mot « vérité » signifie quelque chose qui est sûr, sur quoi on peut s'appuyer, « fiable » comme on dit aujourd'hui. Chair et Sang de Jésus sont donc une nourriture authentique, plus « vraies » que les nourritures terrestres qui ne font qu'apaiser l'appétit pour un moment, qui entretiennent une existence fragile qui, de toutes façons, ne durera qu'un temps.
2. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi, je demeure en lui.
L'amour vrai n'est ni juxtaposition ni fusion mais inhabitation réciproque. Sous la première Alliance, les croyants vivaient sous la Loi : pour rencontrer Dieu, ils se rendaient dans « sa Maison », le Temple. Maintenant avec Jésus, non seulement ils sont intérieurement instruits (cf. dimanche passé) mais ils communient dans la filiation de Jésus. L'Eucharistie fait qu'Il est en eux comme ils sont en lui. Ils sont le temple, le lieu de « l'adoration en Esprit et Vérité » (Jn 4, 23)
3. Et comme le Père, qui est vivant, m'a envoyé et que je vis par le Père, de même celui qui me mangera vivra par moi.
Dans l'évangile de Jean, à plusieurs reprises, on rencontre ce « comme » pour dire les relations entre le Père, le Fils et les hommes. Autant et plus qu'une simple comparaison, ce mot indique une source, une causalité : « Puisque le Père vivant me fait vivre, moi, son Fils, je peux vous faire vivre... C'est parce que le Père m'a envoyé que je vous envoie ». L'Eucharistie, faisant vivre de cette Vie divine, est en même temps « envoi ». Le repas eucharistique n'a pas pour but une extase statique, un arrêt dans la contemplation : de soi, parce qu'il est communion à un Fils qui vit dans l'envoi par son Père, il provoque l'envoi dans le monde. L'Eucharistie rend missionnaire. Citoyen près des autres, le chrétien est délégué par Dieu vers eux.
4. Tel est le Pain qui descend du ciel : il n'est pas comme celui que vos pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange de ce Pain vivra éternellement ».
---- Tels furent les enseignements de Jésus dans la synagogue à Capharnaüm.
En terminant cet enseignement, Jésus revient au symbolisme de la manne : celle-ci n'était pas un pain de Dieu. La Loi qu'elle symbolisait n'empêchait pas de mourir tandis qu'au contraire, le Pain de Jésus est un véritable Pain de Dieu et il donne une Vie sans fin.
CONCLUSIONS
En racontant l'ultime repas de Jésus avec les siens à la veille de sa Passion, Jean taira l'institution de l'Eucharistie et la remplacera par le lavement des pieds (même symbolique : don de soi maximum) Mais il a anticipé l'enseignement sur l'Eucharistie dans le chapitre 6 en le situant en plein ministère de Jésus donc en plein dans l'existence des croyants. Voici ce que nous avons à vivre :
D'abord, sans se laisser écraser par l'ampleur des problèmes, il importe de partager les pains, de veiller à l'alimentation des hommes. Le premier geste (le petit garçon) est l'acte de solidarité. - PARTAGE
Ce partage premier appelle à ne pas en rester là mais à changer de plan, à opérer un passage ardu (ce n'est pas pour rien que le don du pain est suivi par le passage difficile du lac) - PASSAGE
Les gens se contenteraient de recevoir des bienfaits : il importe de creuser leur faim, de les conduire à la recherche d'une autre nourriture. Passer du don au Donateur, de l'objet au sujet -DU BESOIN AU DESIR
Jésus, parce qu'il est Fils de Dieu, se présente comme la Parole à croire. La foi en lui n'est pas croyance en un message mais assimilation par l'écoute, accueil d'une Présence. - LITURGIE DE LA PAROLE
La manducation de la Parole aiguise la faim de l'amour et le croyant veut « dévorer » son Dieu - comme les amoureux dialoguent, s'écoutent puis s'embrassent - LITURGIE DU PAIN.
---------Marc, Matthieu, Luc et Paul ont souligné fortement le lien entre l'Eucharistie et la Passion de Jésus. Jean, plus tard, montre comment, ensemble, « le partage fraternel du pain puis l'écoute croyante de la Parole de Dieu puis la consommation du Pain-Chair de Jésus » est la véritable manne, le moyen de survie du peuple de Dieu qui chemine dans le désert du monde dans l'espérance du ciel. Communauté en exode, libérée de la prison de l'égoïsme, dès maintenant, chaque jour, elle goûte la VRAIE VIE en Jésus.
20e dimanche ordinaire, année B
- Auteur: Devillers Raphaël
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : B
- Année: 2011-2012