Je ne sais pas pour vous mais moi, un rien me profite. Il suffit que je mange même un petit peu et cela me profite. Et comble des combles, plus cela me profite, plus j'aime en manger. Chocolat, douceurs, féculents, j'adore. Au grand dam, de mon médecin généraliste d'ailleurs qui n'a que faire de mes excuses. Ca me profite. Et tout est si bon surtout lorsque l'on est gourmet. Même une simple tranche de bon pain. Alors vouloir me faire prêcher sur « venez manger mon pain et boire le vin que j'ai apprêté » tel que proposé dans la première lecture de ce jour, je trouve cela du sadisme pur et simple. Je pourrais presque écrire un livre, un best seller comme celui de Montignac : « je prêche, donc je maigris ». Prêcher, sur le pain, le pain de vie.
Permettez-moi avec vous de reprendre la métaphore du pain, de ce féculent qui nous fait grossir et de la transposer dans le discours du pain de vie de Jésus. Si le pain me profite, le pain de vie devrait en faire tout autant. Si le pain est agréable à manger, me fait du bien, il devrait en être de même avec le Christ, pain de vie par excellence.
Mais en est-il vraiment ainsi dans nos vies ? Est-ce que nous nous nourrissons réellement de ce pain de vie ? Donne-t-il un autre goût à la vie ? Sommes-nous parfois, souvent ou jamais rassasiés de ce fameux pain qu'est le Christ ? Il ne s'agit pas ici comme tel de l'eucharistie, mais de la rencontre intime du Fils de Dieu comme nourriture de vie. Lorsque j'ai faim, je vais vers l'armoire à provision, c'est vrai, mais est-ce que je fais de même lorsque j'ai faim de vie, de sens, de quête de bonheur, de désir d'être heureux ? Est-ce qu'à ce moment précis, je me tourne vers l'armoire intérieure du Fils de Dieu, est-ce que j'ouvre le placard des Saintes Ecritures pour trouver cette nourriture céleste dont j'ai tant besoin ? Pas toujours, il est vrai. Alors pour me rassurer, je deviens un peu comme les juifs de l'évangile, je me mets à discréditer le Fils : non pas en me disant, « comment cet homme-là peut-il nous donner sa chair à manger » mais plutôt en retraduisant cela en termes contemporains : « je suis trop pris par la vie, pour prendre un peu de temps pour Dieu ; de toute façon, il ne pourra pas faire grand chose pour moi, mes affaires sont tellement compliquées que moi-même je ne m'y retrouve pas ». Et la litanie monotone des plaintes peut s'écrire sur des pages entières. Alors pour passer au-dessus des frustrations de ce monde, je me mets à manger et comme tout me profite...
Le pain fait grossir, c'est vrai et j'en sais quelque chose. Par contre la pain de vie fait grandir. Voilà toute la différence. Avec l'un, il s'agit d'expansion vers l'avant et les côtés, avec l'autre, il s'agit de maturation, de mûrissement, de réalisation, voire même de divinisation. Le Christ, Fils de Dieu, nous invite à sa table et se fait nourriture pour nous. Il est l'entrée, le plat consistant et le dessert de nos vies. Ses paroles ne sont pas à boire d'un coup sec. Nous risquerions de trop vite en oublier le goût. Non le message du Père, par l'entremise du Fils, se laisse d'abord regarder, admirer, puis nous prenons le temps de le goûter, de le mâcher et enfin de l'avaler. Les paroles du Fils nous nourrissent de l'intérieur. Le pain de vie est une nourriture céleste non pas qui nous profite mais dont nous devrions profiter tellement il est un don merveilleux du Ciel. Fort de ce constat, nous pouvons alors affirmer à celles et ceux que nous croisons, que Jésus, pour nous, est bon comme le pain. C'est-à-dire que lorsque nous prenons le temps de le rencontrer au coeur de la course folle de la vie, nous découvrons, redécouvrons que chaque rencontre, chaque instant passé en sa présence, au coeur de notre intimité est enrichissant, mieux encore nourrissant. Le pain de vie se mange à volonté, nous ne sommes jamais rassasiés et nous pouvons toujours en recevoir plus. Ce pain de vie donne le goût à la vie. Il est un chemin que nous empruntons. Mais pas n'importe quel chemin, le pain de vie est la route qui nous conduit à l'éternité, c'est-à-dire au lieu même où se noue l'humain et le divin.
Alors, encore un peu de pain ? Oui, mais seulement du pain de vie, le pain de Jésus Christ. Amen.