20e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

« A L L U M E Z .... L E   F E U  ! »

Nous écoutons la fin d'une instruction particulière de Jésus à ses « disciples » (pas à la foule) commencée dimanche passé : il leur rappelait leur devoir d'intendants vigilants car « le Fils de l'homme va venir à l'heure que vous ignorez » et il vous jugera. En évoquant cet avenir, ce « Jour », Jésus annonce à nouveau, à mots couverts, quel « jour » lui-même va devoir vivre : une passion horrible mais à laquelle il donne un sens.

QUEL FEU ?

Jésus disait à ses disciples : «  Je suis venu apporter un feu sur la terre et comme je voudrais qu'il soit déjà allumé ! »
Epouvantés par les désastres subis par Israël de la part des empires païens, les anciens prophètes avaient souvent annoncé la venue d'un Jour où Dieu châtierait ces nations par le feu :
« Voici le Seigneur, c'est dans le feu qu'il vient » (Is 66, 15 ; cf. Ez 38, 22 ; Am 1, 4, etc.).
Et le recueil des prophètes bibliques se termine d'ailleurs par le grand oracle de Malachie :
« Voici que vient le Jour brûlant comme un four. Tous les arrogants et les méchants ne seront que paille : le Jour les embrasera...» (Mal 3, 19-20).
Si souvent humilié dans son histoire, le peuple espérait qu'un jour justice serait faite : Dieu consumerait les mauvais par le feu vengeur et il sauverait les bons. C'est pourquoi Jean-Baptiste prêchait :
« Il vient, celui qui est plus fort que moi, il vous baptisera dans l'Esprit-Saint et le feu...
Il va recueillir son blé et il brûlera la bale au feu qui ne s'éteint pas » (3, 16-17).
Forts de cette conviction, Jacques et Jean voulaient « faire tomber le feu » pour consumer les Samaritains qui refusaient d'accueillir Jésus : mais celui-ci avait vertement réprimandé ces furieux (9, 54-56).
Il faudra la Pentecôte pour que les hommes comprennent enfin que Jésus n'est pas venu lancer le feu destructeur sur les mauvais mais le feu chaleureux de l'Esprit-Saint sur ses disciples afin qu'ils « brûlent » d'amour pour faire communauté, et soient comblés de joie et d'assurance pour annoncer la Bonne Nouvelle à toutes les nations (Ac 2, 1-5).
C'est ce Jour que Jésus « brûle » d'accomplir ; il a hâte d'achever la mission reçue de son Père. Non allumer les flammes de l'enfer mais embraser les c½urs de tous les hommes pour qu'ils cessent d'allumer les incendies des guerres. Mais avant cela, il doit lui-même passer par l'enfer du Golgotha.

DANS L'ABIME DE LA SOUFFRANCE

« Je dois recevoir un baptême, et comme il m'en coûte d'attendre qu'il soit accompli ! »
« Baptiser » signifie « plonger dans l'eau, laver » et Jésus a bien reçu le baptême dans les eaux du Jourdain : pourquoi à présent parle-t-il d'un second baptême? Il l'évoque dans Marc lorsqu'aux deux Zébédée qui lui demandaient de siéger dans sa Gloire, il répond : « Vous ne savez ce que vous demandez : pouvez-vous boire la coupe que je vais boire ou être baptisés du baptême dont je vais être baptisé ? » (10, 38).
L'image de la coupe à boire « jusqu'à la lie » est souvent, dans l'Ancien Testament, un symbole de la souffrance : on comprend donc que le baptême dont il est ici question désigne la « plongée » dans l'abîme du mal. Un psaume de Passion employait cette image pour exprimer l'épouvante du juste que ses ennemis tentent d'exterminer:
« Dieu, sauve-moi, l'eau m'arrive à la gorge ; je m'enlise dans un bourbier sans fond ; je coule dans l'eau profonde ...Seigneur, que je sois arraché aux eaux profondes... » (Ps 69)
Jésus perçoit son destin à travers ces prières qu'il connaît bien : je serai ce juste souffrant harcelé par ses adversaires, ils me jetteront dans l'abîme du mal, ils chercheront ma disparition dans les eaux de la mort. Mais Dieu, mon Père, me sauvera. De l'agonie au mont des Oliviers jusqu'à l'exécution au Golgotha, ce sera mon second baptême, ma plongée : mais Dieu, mon Père, me retirera des grandes eaux de la mort.
« Je dois » : ah comme j'ai hâte que cette horreur soit accomplie. Non que je désire souffrir. Non que le Père le veuille. Ce sont des hommes qui me haïssent et veulent ma mort. Mais, jeté dans l'abîme, mon Père m'en relèvera. Et, avec moi, la multitude immense de ceux qui baigneront leur âme dans mon sang : comme moi, ils surgiront, debout, ressuscités, ruisselant de l'amour du Père.
Dorénavant les hommes ne seront plus condamnés à « couler » : vécue par amour, leur souffrance sera aussi un baptême. Donc des relevailles dans la Vie, une « re-naissance ».

LA PAIX ET LA DIVISION

Ce baptême de la croix et ce feu de l'Esprit apporteront aux croyants la Paix que le Messie devait apporter. Non l'indépendance nationale. Non la sécurité et l'apaisement définitifs. Non la bonne santé et les succès. Mais la paix profonde, celle que personne ne peut nous enlever et qui est victoire du Fils sur le péché, entrée dans le Royaume du Père, animation par l'Esprit.
Paradoxalement cette Bonne Nouvelle allumera le feu des disputes car elle suscitera l'opposition la plus dure, l'hostilité la plus farouche, parfois même au c½ur des familles.

Pensez-vous que je sois venu mettre la paix dans le monde ? Non, je vous le dis, mais plutôt la division. Car désormais cinq personnes de la même famille seront divisées : trois contre deux et deux contre trois. Ils se diviseront : le père contre le fils et le fils contre le père, la mère contre la fille et la fille contre la mère, la belle-mère contre la belle-fille et la belle-fille contre la belle-mère. »
Suivant l'oracle du prophète Michée (7, 6), la tradition annonçait que les déchirures familiales seraient un signe de l'approche de la fin. L'accueil de l'Evangile provenant d'un choix personnel et engageant dans une vie toute différente, il ne peut que susciter incompréhension, colère et même haine chez ceux qui ne le partagent pas.
Jésus, le premier, avait rencontré cette opposition. Dans son propre village de Nazareth, il s'était fait huer et déjà on voulait sa perte (4, 29) ; devant son comportement, les hommes les plus pieux, les pharisiens, étaient remplis de fureur (6, 11) ; et même les membres de sa famille pensaient « qu'il avait perdu la tête et ils voulaient s'emparer de lui » (Mc 3, 21). Le vieux Syméon découvrant au temple l'enfant Jésus avait prédit à sa mère : « Il sera un signe contesté » (2, 34).

Ne soyons donc pas étonnés d'essuyer sarcasmes et attaques : l'Eglise a toujours été et sera toujours persécutée. « Baptisée » non seulement dans l'eau mais dans le fleuve des souffrances, « brûlée » par les flammes de la haine, elle accompagne son Seigneur sur son chemin. Mais en buvant la coupe du salut -amertume et joie-, elle est purifiée, elle va « le c½ur brûlant », comme les disciples d'Emmaüs, elle rayonne la Lumière dans un monde de ténèbres. Répétons : « Comme je voudrais que cela arrive ! »