22e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2006-2007

Il suffit parfois d'un seul homme pour changer une tradition séculaire. Puis laissant le temps au temps, quelques siècles plus tard, presque plus personne ne connaît la raison de ce changement opéré auparavant. Telle est bien l'histoire d'Antonio Ghislieri. Combien d'entre nous savent encore qui il a été. Jusqu'à son accession au poste de pontife de l'Eglise catholique, tous les papes étaient habillés de la même couleur que les cardinaux, c'est-à-dire en rouge. Antonio Ghislieri décida de prendre le blanc pour l'habit de pape. Certains pourraient croire que, dans une vie antérieure, il avait été un couturier italien très connu et qu'il voulait montrer la différence avec ses pairs. D'autres encore peuvent s'imaginer que le blanc était un signe de pureté qui symboliserait mieux sa fonction. La raison est pourtant beaucoup plus simple : Antonio Ghislieri, mieux connu sous le nom de saint Pie V, était un religieux qui a voulu, alors qu'il accédait aux plus hautes fonctions de l'église, garder l'habit reçu au moment de son noviciat. Et l'habit de son Ordre était le blanc puisqu'il était un frère dominicain. Il voulait rester à sa place, un frère parmi ses frères. Son identité première de religieux devait primer sur le poste qui lui avait été demandé d'occuper. Décider de garder son habit était une certaine forme d'humilité. Voilà d'où je viens, voilà qui je suis et voici comment j'espère pouvoir vous servir en toute vérité, semblait-il vouloir dire à ses proches.

Il suffit parfois d'une couleur pour vivre l'humilité. Il suffit aussi parfois d'une petite lettre pour ne pas comprendre le sens de l'humilité telle que demandée dans l'évangile. Etre humble, c'est être capable de s'abaisser et non de se rabaisser. Un simple petit « r » fait toute la différence. En effet, contrairement à ce que d'aucun peut croire, l'humilité ne demande pas de se dénigrer, de s'écraser, de se diminuer, de se rabaisser. Bien au contraire, elle demande tout un chemin intérieur de prise de conscience de sa propre réalité. Etre humble, c'est être capable comme le souligne la racine latine de ce mot, de revenir à la terre, c'est-à-dire au lieu même de sa propre vérité. Nous sommes conviés à nous abaisser pour mieux appréhender notre être. Parfois nous rêvons d'être comme ceci ou cela, nous aurions aimé avoir tel don plutôt que tel autre. Hélas penser de la sorte, c'est vouloir être quelqu'un d'autre. Or, comme le souligne le récit de l'évangile de ce jour, chaque être humain a sa place ou mieux encore, il y a, pour chaque être humain, une place. Cette place ne nous est pas définie comme telle. A nous de la découvrir. Pour ce faire, nous sommes conviés à redonner le temps au temps de telle sorte que nous acceptions de nous abaisser sur la route de notre propre existence. Cet abaissement nous demande d'entrer sur un chemin d'acceptation de notre vérité intérieure là où se mêlent en nous les qualités merveilleuses que nous avons héritées ainsi que les vulnérabilités qui font la richesse de nos personnalités. L'humilité se vit donc d'abord par rapport à soi. Je suis humble vis-à-vis de moi-même, c'est-à-dire j'accepte de prendre cette place que j'ai choisie afin de réaliser ma propre destinée. Je prends conscience de mes zones d'ombres et de lumière. Mieux encore, je m'en réjouis car je sais à quel point cette acceptation participe à la richesse de ma singularité. Heureux de qui je suis devenu, je peux alors permettre à tout autre personne qui croise mon histoire à trouver sa propre place, celle qu'il lui revient dans la vie car elle est elle-même entrée dans une démarche de vérité profonde. En agissant de la sorte, en aucune manière, je me rabaisse, je me diminue ou je m'amoindris. Loin s'en faut. En effet, très souvent dans la vie, la société nous prescrit de rabaisser, voire parfois d'écraser l'autre, pour mieux exister soi-même. Cette fausse appréhension de l'existence est épuisante car elle demande constamment de rester sur un qui-vive sans fin. Je ne peux me reposer puisque je dois toujours rester attentif à écraser afin de ne pas l'être moi-même. Par contre, l'abaissement dans l'humilité est une philosophie de vie qui invite toujours l'autre à partir à la rencontre du meilleur de lui-même. Une telle attitude permet alors à tout être humain de s'abaisser soi-même pour découvrir son chemin intérieur de vérité même lorsque celui-ci passe par l'épreuve de la souffrance, de la maladie ou du deuil. Il n'y a pas de réponse toute faite. C'est à chacune et chacun d'entre nous de mettre des mots sur les pointillés entre les deux guillemets de notre vie.

D'après l'évangile, ce qui semble être sûr, c'est qu'il y a pour tout un chacun une place au Royaume de Dieu. Celle-ci se découvre tout simplement chaque fois que je donne plus de place à l'autre pour qu'il trouve en lui plus d'espace encore tellement notre propre regard lui aura permis de se recentrer sur la source de l'humilité qui est l'amour. S'il en est vraiment ainsi, puissions-nous ne jamais oublier que la mesure de l'amour se découvre dans sa démesure.

Amen.