LA FAÇON CHRÉTIENNE DE FESTOYER
Pour la 3ème fois, Luc nous montre Jésus invité à la table d'un Pharisien. La 1re fois, une pécheresse était survenue et Jésus lui avait donné le pardon ; les convives, scandalisés, se demandaient « qui était ce Jésus » qui osait agir de la sorte (7, 36-50 = 11ème dimanche). La 2ème fois, Jésus s'était emporté contre ces hommes si scrupuleux dans les observances extérieures mais oublieux de l'amour et de la justice : « Malheureux vous... ! ». Furieux, ils s'étaient acharnés contre Jésus, lui posant des tas de questions pour le piéger (11, 37-54 - pas passé en liturgie). Aujourd'hui, 3ème fois, il est curieux que la liturgie omette de dire le mobile identique de l'invitation.
Un jour de shabbat, Jésus était entré chez un des chefs des pharisiens pour y prendre son repas et ils l'observaient (l'espionnaient)
Les confréries pharisiennes avaient coutume, le vendredi soir, de partager un petit banquet pour fêter l'entrée en shabbat, resserrer les liens entre les membres et discuter sur certains points de la Loi. Ici on n'a pas invité Jésus pour un entretien cordial mais pour le questionner sur sa pratique des traditions, constater qu'il a un comportement inadmissible afin de pouvoir le dénoncer comme menteur devant le peuple assez naïf pour l'admirer et même le prendre pour le Messie.
Devant cet auditoire hostile, Jésus, comme toujours, sera vrai. Que ce soit chez des amis (Marthe et Marie) ou des adversaires (pharisiens), il ne louvoie jamais : ni on ne l'achète par un bon repas ni on ne lui fait peur par l'agressivité.
De même le chrétien invité apporte la miséricorde et un écho de la Parole qui nourrit, il ne se laisse pas intimider ni n'édulcore sa foi.
-------- Quatre petites scènes vont se succéder dont la liturgie ne retient que la 2ème et la 3ème.
L'HUMILITE INDISPENSABLE
Remarquant que les invités choisissaient les premières places, il leur dit cette parabole :
« Quand tu es invité à des noces, ne va pas te mettre à la première place, car on peut avoir invité quelqu'un de plus important que toi. Alors, celui qui vous a invités, toi et lui, viendrait te dire : 'Cède-lui ta place', et tu irais, plein de honte, prendre la dernière place. Au contraire, quand tu es invité, va te mettre à la dernière place. Alors, quand viendra celui qui t'a invité, il te dira : 'Mon ami, avance plus haut', et ce sera pour toi un honneur aux yeux de tous ceux qui sont à table avec toi...... »
Jésus, subtil, a tout de suite remarqué le manège de certains : chez le chef du groupe, il importe de jouer des coudes, de se pousser au plus près pour capter les confidences du maître et se valoriser en exhibant son propre savoir. Se hisser au-dessus des autres : quelle gaminerie, quelle vanité ! Jésus prévient sur la déconvenue qui guette le prétentieux obligé de céder sa place à plus noble que lui.
La leçon, au fond assez banale, paraît ne viser que les convenances sociales et la politesse à table mais Luc a bien précisé d'emblée qu'il s'agissait d'une « parabole » c.à.d. d'une histoire qui vise beaucoup plus loin : ce que révèle l'adage final :
Qui s'élève sera abaissé ; qui s'abaisse sera élevé. »
Les rivalités entre les invités sont révélatrices de la mentalité pharisienne : en inventant sans cesse de nouvelles pratiques et en s'appliquant à observer minutieusement les moindres points de la Loi, ils croyaient se hausser au-dessus du commun, et ils rivalisaient entre eux pour tenter d'être le meilleur. La piété tournait à la vanité et à la concurrence. Paradoxe du « bon croyant » : il cherche à bien faire, à être en règle...et il déraille dans le mal sans s'en rendre compte. Même le chemin de la piété est farci de pièges !
Il n'est donc pas seulement question ici de bonnes manières mais de comportements devant Dieu. On sait que l'emploi du passif sert à évoquer l'action divine : « Quiconque s'élève, Dieu l'abaissera ; quiconque s'abaisse, Dieu l'élèvera ». Sentence tellement importante que Luc la répètera en 18, 14. Lorsque le Messie apporte le Royaume, les apparences s'effritent et la vérité apparaît. Luc souligne souvent ce renversement des situations : « Heureux vous qui avez faim, vous serez rassasiés...Malheureux vous qui êtes repus maintenant, vous aurez faim... » (6, 20-26) ; « Des derniers seront premiers... » (13, 30) ; « Dieu cache cela aux sages et le révèle aux petits ... » (10, 21). Le Magnificat de Marie le proclamait d'emblée : « Il renverse les puissants de leurs trônes ; il élève les humbles...... » (1, 52)
L'humilité ne consiste pas à se mépriser, à se juger bon à rien, à rester inactif, à ne pas vouloir faire mieux. Elle peut être là quand on est heureux de manifester ses talents, elle est certainement absente là où on la professe : « Moi j'ai beaucoup de défauts, mais au moins je suis humble » ! Elle est dans l'acceptation de soi, dans le refus des comparaisons et des jalousies.
DE L'ECHANGE AU DON
Jésus s'était adressé à tous les convives : maintenant il parle au chef.
Jésus disait aussi à celui qui l'avait invité : « Quand tu donnes un déjeuner ou un dîner, n'invite pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni de riches voisins ; sinon, eux aussi t'inviteraient en retour, et la politesse te serait rendue. Au contraire, quand tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles ; et tu seras heureux, parce qu'ils n'ont rien à te rendre : cela te sera rendu à la résurrection des justes. »
Ces « Messieurs bien » aimaient se retrouver chez l'un puis chez l'autre, entre gens de bonne compagnie. Appréciant les bons plats, experts en bons vins, le petit doigt en l'air, sans faire de rot. C'est facile, leur lance Jésus, d'organiser une belle réception en sachant que la prochaine fois politesse vous sera rendue par un confrère. Donner pour recevoir, un prêté pour un rendu : on demeure dans la société marchande, dans l'équilibre des échanges, dans le monde païen. Essayez, dit Jésus, d'entrer dans le Royaume, la communauté du don, où l'on offre sans espoir de retour, où l'on goûte le bonheur de la gratuité (« Heureux seras-tu... »). Où l'on cesse de se retrouver « entre soi » pour offrir une hospitalité désintéressée à ces « manants » que vous, Pharisiens, considérez de haut et excluez de vos assemblées.
« Cela te sera rendu » : c.à.d. Dieu te le rendra. Un jour, il t'invitera, gracieusement, au Banquet de la Vie éternelle où il n'y a plus des degrés de dignité, des hautes classes et des dalits, l'aristocratie des vertueux et la crasse des pouilleux, mais rien que « des pauvres types », des humbles qui n'en reviennent pas d'avoir été invités.
Dans notre société marchande où tout s'évalue, s'achète et se vend, où ne se fréquentent que les gens « du même monde », quel beau témoignage chrétien que de construire des passerelles, de piétiner les convenances, de vivre la communion avec « l'autre »différent.
Ah si l'Eucharistie commençait par un joyeux brouhaha, l'accueil réciproque, sans présentations mondaines, quand la seule dignité de chacun serait celle d'être chrétien. La messe est la manifestation d'une société sans classes.
22e dimanche ordinaire, année C
- Auteur: Devillers Raphaël
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : C
- Année: 2012-2013