23e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

LE DEVOIR DE S'ASSEOIR

Un jour, en Galilée, Jésus a pris une grave décision : « Comme arrivait le temps où il allait être enlevé du monde, Jésus serra les dents et prit la route de Jérusalem » (9, 51) car il allait s'y heurter au refus des autorités du temple avec risque de mort (9, 21). Et il enchaîna en prévenant ses disciples : « Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il renonce à lui-même et prenne sa croix quotidienne » (9, 23).
« En route » - grand thème de Luc -, Jésus répéta cet avertissement à plusieurs reprises, mais sans résultats: « Ils ne comprenaient pas cette parole, ils n'en saisissaient pas le sens...ils craignaient même de le questionner à ce sujet » (9, 45). Pour eux, puisque Jésus annonçait la venue du Règne de Dieu et opérait des guérisons inexplicables, il était probable qu'il était le Messie annoncé par les Ecritures, qu'il allait non pas mourir mais chasser Pilate et son armée et rendre à Israël son indépendance. C'est pourquoi, au fil des semaines, une foule d'exaltés le suivait en chantant, racontant ses exploits, partageant de folles espérances.
Voulons-nous  sur notre route  une foi « sucre d'orge », une Eglise qui triomphe ?......
Aujourd'hui Jésus va tenter à nouveau de nous détromper et de nous ouvrir les yeux.

De grandes foules faisaient route avec Jésus ; il se retourna et leur dit :
« Si quelqu'un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et s½urs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple.
Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher derrière moi ne peut pas être mon disciple ».

Les anciens prophètes ont eu des disciples mais nul d'entre eux n'a osé valoriser sa propre personne à ce point. Jésus ne proclame pas un code de lois à observer : il appelle à un attachement exclusif à sa personne. La foi chrétienne, au-delà de la morale, est relation à quelqu'un. Elle n'est pas statique au sens où il faudrait apprendre et mettre en pratique les préceptes d'un législateur. Elle est dynamique: il s'agit de découvrir un Jésus en marche, de mettre ses pas derrière lui sans trop savoir ce qui va arriver mais en sachant que ce sera très dur, très exigeant.
Jésus ne mobilise pas une troupe qu'il ferait marcher au pas, en rang par deux : l'Eglise n'est pas une armée mais un désordre parfois indéfinissable (dont on ne peut tracer les frontières nettes).
Jésus sollicite les libertés personnelles. « Si quelqu'un vient... » : à chacun de se décider. Un malfaiteur peut tout à coup prendre conscience de ses errements et rejoindre Jésus. Un pécheur peut venir et cheminer à sa suite sans guérir de ses fautes. Par contre quelqu'un qui se croit disciple, « chrétien », ne peut renoncer devant les perspectives crucifiantes qui se profilent à l'horizon.

Parvenus à cette étape de « la route de Jésus », ceux qui veulent aller jusqu'au bout en tant que disciples doivent accepter des déchirures au sein même des liens les plus forts, ceux de la famille. « La route » que Jésus va escalader est tellement rude, le danger de mort y est tellement précis, que le disciple ne peut y entraîner les siens. Il ne cessera pas de les chérir mais « il préférera » Jésus. A un certain moment, l'option sera nécessairement crucifiante: avec, pour et comme Jésus, il se sentira tenu de donner sa vie. Le supplice, la souffrance et la mort garderont leur horreur mais, à travers leur épouvante, la foi les verra comme une suite de Jésus. En Syrie, en Inde, au Nigéria, nos frères sont acculés à cette réalité.
Devant cette option, il importe de réfléchir longuement : 2 paraboles expliquent ce moment du carrefour. 
---Quel est celui d'entre vous qui veut bâtir une tour, et qui ne commence pas par s'asseoir pour calculer la dépense et voir s'il a de quoi aller jusqu'au bout ? Car, s'il pose les fondations et ne peut pas achever, tous ceux qui le verront se moqueront de lui : 'Voilà un homme qui commence à bâtir et qui ne peut pas achever !'
---Et quel est le roi qui part en guerre contre un autre roi, et qui ne commence pas par s'asseoir pour voir s'il peut, avec dix mille hommes, affronter l'autre qui vient l'attaquer avec vingt mille ? S'il ne le peut pas, il envoie, pendant que l'autre est encore loin, une délégation pour demander la paix.
De même, celui d'entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple. 
Une grande construction à bâtir, une guerre à entreprendre : ces projets sont lourds, accablants, dangereux et on ne s'y lance pas sur un coup de tête. Il importe de réfléchir très sérieusement pour savoir si l'on ne va pas à l'échec, si l'on a les possibilités, les moyens, le courage, la ténacité pour aller jusqu'au terme. De même, affirme Jésus à ce moment de la marche, chacun de vous doit « s'asseoir », méditer pour lui-même, mûrir sa décision. Ne pas s'imaginer que peut-être cela n'ira pas trop mal, que les choses s'arrangeront au mieux, que « Dieu n'en demande pas tant »...
Pour « bâtir » son existence en Dieu, pour « faire la guerre selon l'Evangile », il est nécessaire non d'accumuler des ressources mais au contraire de s'alléger, de renoncer à tout. De même que David a dû se dépouiller de  sa lourde armure pour affronter et vaincre le géant Goliath, ainsi le disciple cesse de se fier à ses biens. Sa pauvreté sera sa force. « C'est lorsque je suis faible que je suis fort » (S. Paul)

POUR UNE EGLISE MORDANTE

La lecture de ce dimanche, sans doute devant la difficulté du texte, omet la phrase finale de Jésus : il est bien de la rétablir puisqu'elle donne le sens du renoncement exigé par Jésus.

C'est une bonne chose que le sel ; mais si le sel lui-même se dénature, avec quoi lui rendra-t-on sa force ? Il ne peut servir ni pour la terre, ni pour le fumier : on le jette dehors !
Celui qui a des oreilles pour entendre, qu'il entende !
Nous apprenons ici les trois caractéristiques du groupe des disciples qui, prévenus, acceptent librement de « suivre Jésus » jusqu'au bout.
Ils ne forment pas une communauté à l'écart du monde, ils ne fuient pas dans le désert : au contraire, comme le sel jeté dans les aliments, ils doivent se plonger en plein monde.
Ensuite il n'est pas requis qu'ils soient très nombreux : comme le sel, quelques grains suffisent. Il est certainement anormal que l'Eglise soit majoritaire.
Enfin le danger ne réside pas dans la puissance de leurs adversaires ni dans les foules qui refusent l'Évangile mais dans leur propre affadissement. Leur tentation sera de se taire devant les menaces, d'édulcorer leur message, de subir la contagion de leur milieu. Saupoudrant une existence conforme au modèle social, « à la mode », par quelques liturgies inoffensives, ils seront fades, insipides, inutiles.
-----  Et Jésus conclut, comme pour la parabole du semeur (8, 8), en appelant à une « écoute » sérieuse. Devant nos peurs, nos tentations de faire une religion à notre mesure, il est essentiel de nous adonner à une « écoute » permanente, approfondie, confiante, de la Parole de Jésus. L'inscription à un registre paroissial, le chant des cantiques et les bonnes manières ne se confondront jamais avec la « foi ».
Notre petite homélie n'a d'autre but que de nous aider à assimiler la Parole incisive comme une épée.