L’Evangile d’aujourd’hui nous présente Jésus traversant des régions plus païennes les unes que les autres. Il quitte la Phénicie avec Tyr et Sidon, et il passe en Décapole, c’est-à-dire la région des dix villes. Ce n’est pas une région historique comme la Judée et la Samarie. C’est une région un peu artificielle crée par l’occupant romain autour du lac de Génésareth, c’est-à-dire de la mer de Galilée, dans le nord de l’Etat d’Israël actuel. Et c’est là dans cette terre devenue étrangère que Jésus va guérir un sourd-muet. Ce n’est peut-être pas par hasard que la première personne que Jésus rencontre vraiment là-bas est un handicapé. Car ce sourd-muet symbolise peut-être toute la misère dans laquelle l’homme est plongé quand il ne connaît pas Dieu. Ne sommes-nous pas, nous aussi, un peu sourds ? Car il y a des gens qui sont physiquement sourds, soit de naissance, soit par accident. Mais il y en a d’autres qui eux aussi sont sourds, mais sourds du cœur et de l’esprit. Et peut-être, malgré toute notre bonne volonté, nous sommes non seulement maladroits dans notre façon de parler et de réagir, mais nous sommes aussi parfois sourds aux appels et à la présence de nos proches. Combien de fois, dans un couple, dans une communauté, une dispute n’éclate-t-elle pas parce que l’un des partenaires se sent lésé, négligé : « mais tu ne m’écoutes pas, tu n’essaies même pas de comprendre ». Nous sommes parfois comme ces jeunes qui ont les écouteurs sur les oreilles et leur plaquette devant les yeux. Ils ne voient plus rien, ils n’entendent plus rien du monde extérieur. Ils sont repliés sur eux-mêmes. Ils sont devenus incapables d’entendre leur voisin, leur voisine leur parler. Ils sont devenus incapables d’entendre Dieu leur parler.
Mais comment Dieu nous parle-t-il ? Regardez comme c’est curieux. Dans l’Evangile, il est dit que les gens demandent à Jésus d’imposer les mains, c’est-à-dire d’accomplir un acte liturgique, religieux et peut-être même magique. Imposer les mains, c’est vouloir transmettre à quelqu’un l’esprit qu’on a reçu, l’esprit dont on est dépositaire. Jésus, lui, bien au contraire, s’éloigne de la foule. Pas de spectacle ! Il y a des choses trop sérieuses pour être galvaudées en les montrant sur la place publique. Il y a des choses trop belles pour être jetées en pâture aux journalistes et aux ragots des vieilles commères ou des vieux pépères. Jésus s’éloigne. Il est seul avec le sourd-muet. Et que fait-il ? Il lui plante son doigt dans l’oreille. Quel manque de bonne éducation ! Il prend de sa propre salive et la dépose dans la bouche du malheureux sourd-muet. Quelle manque d’hygiène ! Nous attendons tous des gestes merveilleux de la part de nos proches et de Dieu. Et c’est la routine de tous les jours. Dans la vaste monotonie d’une vie qui se répète sans cesse surgit peu à peu le désespoir d’être un jour aimé. Et voilà que le Christ, au lieu de faire un grand miracle, met le doigt dans l’oreille. Cela veut peut-être dire que c’est dans le côté prosaïque de la vie de tous les jours que Dieu manifeste son amour infini. Non pas dans les grandes déclarations, mais dans les petits gestes quotidiens. Et c’est sans doute la raison pour laquelle nous sommes sourds. Nous attendons les grandes fanfares des manifestations divines, et c’est notre frère, notre sœur qui est là, pour nous parler, à sa manière, de façon maladroite et inadaptée, de l’amour de Dieu.
Oui, certes, Dieu nous murmure chaque jour des paroles d’amour, mais nous ne les entendons pas parce que nous sommes absorbés par le bruit violent de la vie. Nous pouvons être guéris de notre surdité dans la mesure où nous ôtons notre casque de certitudes et d’angoisses. C’est cela sans doute un aspect de la sainte Eucharistie : pouvoir s’asseoir, couper le son et les images devant nos yeux pour laisse Dieu nous surprendre par son manque d’éducation. C’est cela le miracle de l’Eucharistie : Dieu qui se donne tout entier dans un morceau de pain insignifiant, et qui nous invite à découvrir les plus paroles d’amour dans les petits gestes de tous les jours. Alors coupons le bruit qui nous assourdit et ouvrons nos oreilles à la petite mélodie d’amour que Jésus nous chantonne à travers les frères et les sœurs que nous rencontrons tous les jours.