24eme dimanche du temps ordinaire

Auteur: Raphaël Devillers
Date de rédaction: 13/09/15
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

A QUI PERD GAGNE

Après avoir parcouru la Galilée, Jésus s’est aventuré en pays païen : à l’est, le grand port phénicien de Tyr puis à l’ouest la Décapole et il y a remarqué les mêmes détresses, les mêmes appels à la guérison et au salut. A présent il remonte à l’extrême nord d’Israël, aux pieds du mont Hermon là où jaillissent les sources du Jourdain. Dans cette très belle région verdoyante, le roi Philippe a fait édifier une nouvelle ville, modèle séduisant de la grande civilisation hellénistique. Voilà Jésus entre deux mondes, entre la foi d’Israël et la religion grecque. Entre Jérusalem et la cité païenne. Or Jésus n’entre pas dans Césarée pour dénoncer ses vices : c’est vers Jérusalem qu’il veut se diriger en priorité pour l’appeler, elle d’abord, à la conversion. Nous voici au moment de la grande décision qui coupe l’évangile en deux.

Jésus s’en alla, ainsi que ses disciples, vers les villages situés aux environs de Césarée-de-Philippe. Chemin faisant, il interrogeait ses disciples : « Au dire des gens, qui suis-je ? » Ils lui répondirent : « Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres, un des prophètes. » Et lui les interrogeait : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Pierre, prenant la parole, lui dit : « Tu es le Christ. » Alors, il leur défendit vivement de parler de lui à personne.

Depuis le début de sa mission, Jésus intrigue : qui donc est ce petit artisan sans titres, sorti de son coin perdu et qui a l’audace d’annoncer la venue du Règne de Dieu ? Un fou, un illuminé ? Un sage aux belles paroles ? Un sorcier auteur de prodiges ? Un révolutionnaire dangereux capable d’attiser la passion révolutionnaire d’un peuple meurtri ?

« Que dit-on de moi ? Que disent les gens ? ». Les apôtres rapportent à Jésus les diverses opinions qui courent à son sujet. Mais brusquement il les accule à se prononcer par eux-mêmes. Sur Jésus il est insuffisant de colporter des rumeurs, de répéter les opinions des autres. C’est : « TOI que dis-tu ? ». Car on ne peut se contenter d’une information : la question engage.

Les apôtres qui ont été appelés les uns après les autres, qui suivent Jésus dans ses pérégrinations, qui l’écoutent et l’observent, eux aussi se demandent qui il est (4, 41). Mais pour la première fois, un homme, Simon-Pierre, exprime la certitude à laquelle il est arrivé : « TU ES LE MESSIE ». Donc tu n’es pas un prophète parmi d’autres, un magicien, un agitateur, un moraliste. Tu es le Messie, le roi oint par Dieu pour éradiquer le mal, apporter enfin le droit et la justice, et ainsi rendre à Israël sa splendeur,

Jésus ne dément pas son disciple ni ne le félicite pour son discernement: mais à tous il intime l’ordre formel de ne pas divulguer leur confession de foi qui serait susceptible d’aviver la fièvre nationaliste et de mettre le feu aux poudres dans ce pays occupé depuis plus de 90 ans par des païens et qui vit dans l’attente ardente d’une Sauveur définitif – le Messie.

Et là-dessus Jésus leur fait une révélation qui tombe comme la foudre et qui ouvre la seconde partie de l’Evangile. Un nouveau « commencement » (1, 1 ; 6, 7)

1ère SECOUSSE : UN MESSIE QUI VA A LA PASSION ?

Il commença à leur enseigner qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, trois jours après, il ressuscite. sus disait cette parole ouvertement.

Après la Galilée et le monde païen, Jésus a décidé de monter à Jérusalem. « Il le faut » car son Père lui a confié la mission d’annoncer la Bonne Nouvelle partout et donc dans la capitale. Il sait que les plus hautes autorités religieuses ne le tolèrent pas. On l’a vu à plusieurs reprises : Jésus tout de suite a éveillé la suspicion puis la colère puis la haine des pharisiens et des scribes furieux de le voir offrir le pardon des péchés, de paraître violer les saintes lois du shabbat, de rejeter des coutumes vénérables. Ils insinuent même que ses guérisons seraient dues à un pacte avec le diable.

Le temple, les autorités doivent recevoir la Bonne Nouvelle : il s’agit de convertir ces hommes, de libérer leur religion du carcan des observances, de la rigidité des lois, de l’antique coutume des sacrifices d’animaux, des pratiques qui les ferment aux païens.

Nul besoin d’être prophète : Jésus sait que ces hommes n’accepteront pas son message et ils feront tout pour le faire taire et le supprimer. Mais il a une telle confiance dans l’amour de son Père qu’il en est convaincu : celui-ci ne l’abandonnera pas à la mort. Il est impossible que celle-ci soit plus forte que la vérité. Alors la Bonne Nouvelle ne sera plus belles paroles et guérisons mais la révélation de l’amour qui se donne jusqu’au bout jusqu’à ressusciter.

2ème SECOUSSE : LE REFUS DE LA CROIX

Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches.

Mais Jésus se retourna et, voyant ses disciples, il interpella vivement Pierre : « Passe derrière moi, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »

Sidéré par cette révélation, le brave Pierre ne peut imaginer ce destin cruel : il est impossible que le Messie soit rejeté par les gardiens du Temple, ceux-là même qui entretiennent la promesse de sa venue. Et prenant Jésus à l’écart, il se permet de lui faire des remontrances !

Mais, à voix forte pour que tout le groupe entende, Jésus le rabroue vertement. L’apôtre partage la conception habituelle chez les hommes : messie = chef, puissance, invulnérabilité, victoire sur les ennemis, triomphe. En cherchant à détourner Jésus de son chemin, en voulant le conduire sur les chemins de la gloire terrestre, Pierre devient un satan, celui qui se dresse contre les projets de Dieu.

Hélas, dans son histoire, il est arrivé à l’Eglise – surtout à ses prélats – d’oublier cet ordre du Seigneur, de croire à nouveau qu’il fallait évangéliser de manière ostentatoire, en déployant faste et grandeurs, en se décernant des titres ronflants, en adoptant des tenues d’apparat, en utilisant des méthodes de coercition. Pardon, Seigneur, pour nos « pensées d’hommes », nos désirs d’Eglise puissante.

3ème SECOUSSE : LA CROIX POUR CHACUN

Appelant la foule avec ses disciples, il leur dit : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera ».

Il serait trop facile de regarder le trajet du Messie comme des spectateurs attendant passivement tous les bienfaits qu’il apporte (comme la foule attendait une nouvelle multiplication des pains). Et ce ne sont pas seulement les apôtres ni les disciples mais tous les hommes qui sont appelés à suivre cet itinéraire.

« SI QUELQU’UN » : l’appel s’adresse à tout homme et il est libre. C’est à chacun- s’il se décide - de « renoncer » à ses vues « sataniques », trop humaines, d’une vie facile pour prendre le tournant qu’a pris son Seigneur et s’engager, derrière lui, sur ce chemin.

Ne nous étonnons pas de nos réticences, de nos appréhensions : souvent, comme Pierre et les autres, nous fuirons encore quand l’ombre de la croix se dessinera.

« Prendre sa croix » ne veut donc pas dire se faire souffrir, s’infliger des pénitences, se mépriser, s’en vouloir mais entreprendre le même projet que Jésus : vouloir annoncer le véritable Evangile contre ceux qui s’y opposent et donc qui vous refusent et cherchent à vous détruire. L’homme qui se décide n’est pas masochiste : au contraire il veut éperdument accomplir son existence et trouver la Vie comme Dieu l’entend.

C’est « à cause moi et de l’Evangile » - et non par stoïcisme - que cette décision est prise, par désir de suivre Jésus sur son chemin, par amour pour lui, par désir de communiquer la Bonne Nouvelle à l’humanité entière, pour que le monde soit sauvé.

Jérusalem (la cité de Dieu, l’Eglise) doit se convertir pour que l’Evangile soit proclamé à Césarée (la ville païenne de l’Empereur).

Demain, lundi, la fête de « La Croix glorieuse » nous rappellera la victoire de l’amour assassiné. De saint Pierre à l’évêque Romero et aux récents 21 martyrs d’Egypte, les preuves abondent.