24e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

MAIS QUI DONC EST CE GALILEEN ?

Marc a intitulé son livre « COMMENCEMENT DE L'EVANGILE DE JESUS, CHRIST FILS DE DIEU » (1er verset). Non seulement il raconte mais il proclame la Joyeuse Nouvelle qu'est l'homme Jésus lorsqu'il est reconnu comme MESSIE et FILS DE DIEU et ce double titre marque le découpage du livre de Marc en deux parties : la première (de 1, 2 à 8, 30) conduit à la confession du juif Simon-Pierre : « TU ES LE MESSIE» ; la seconde (de 8, 31 à 16, 8) culmine sur la déclaration du centurion païen au pied de la croix, devant Jésus qui vient d'expirer : «  Vraiment cet homme était FILS DE DIEU » (15, 39).
---  L'évangile de ce dimanche présente justement la scène pivot de la confession de Simon Pierre.

MAIS QUI DONC EST JESUS ?

Jésus s'en alla avec ses disciples vers les villages situés dans la région de Césarée-de-Philippe. Chemin faisant, il les interrogeait : «  Pour les gens, qui suis-je ? ».Ils répondirent : «  Jean-Baptiste ; pour d'autres : Elie ; pour d'autres, un des prophètes ».
Il les interrogeait de nouveau : «  Et vous, que dites-vous ? Pour vous qui suis-je ? ». Pierre prend la parole : « Tu es le Messie ». Il leur défendit alors vivement de parler de lui à personne.

Jésus avait fait un voyage vers l'est (Gadara), un autre vers l'ouest (Tyr) : ici il monte vers le nord, avant d'entreprendre son ultime montée, en direction du sud, vers la capitale. Les quatre directions indiquent sans doute la diffusion universelle de l'Evangile et la croix qui en sera la condition nécessaire.
Jésus remonte le cours du Jourdain qui descend des contreforts du mont Hermon (Liban) avant de se jeter dans le lac de Galilée. En somme il se rend à la source des eaux dans lesquelles il a été baptisé par Jean. La région, bien arrosée, est verdoyante et très belle. Le roi Philippe, un fils d'Hérode, y a lancé la construction d'une ville nouvelle qu'il a appelée Césarée en l'honneur de l'Empereur de Rome. Temples, statues des dieux, théâtres, cirques, gymnases, écoles de philosophie : tout à fait l'image du monde païen « moderne », riche et fastueux, tel qu'il est en train de se développer tout autour de la Méditerranée pendant ce siècle où « la paix romaine » permet échanges commerciaux, développement et prospérité.
Jésus observe cette société, ces païens qui, comme toujours et partout, cherchent le bonheur : à eux également il est nécessaire de leur annoncer le Règne universel de Dieu Père. Comment faire ?...

« Pour qui donc me prend-on ? » demande Jésus aux siens. Serais-je seulement un prophète juif à la suite de tous les précédents ? « VOUS, QUE DITES-VOUS ? ». Car il ne suffit pas de rapporter des rumeurs, des on-dit : le croyant doit se prononcer de manière personnelle et publique. Et Pierre, enfin, confesse la conviction à laquelle il est parvenu après tant de mois de compagnonnage, d'observations, de débats avec les autres apôtres et les gens : « TU ES LE MESSIE », le Sauveur promis par les Ecritures.

Jésus accepte ce titre mais à nouveau interdit de le divulguer car trop chargé d'espoirs nationalistes et de volonté de puissance. Le Messie est bien juif mais non pour établir le primat d'un peuple sur les autres. En circulant parmi les païens, Jésus a compris que jamais ils n'accepteront la circoncision, la nourriture casher, le sabbat, les pèlerinages au temple unique de Jérusalem, et encore moins la masse d'observances tatillonnes surajoutées depuis quelques siècles pour préserver l'identité juive de la contagion du monde.  
Et Jésus prend la décision ultime : au lieu de dénoncer les tares de cette ville païenne, de fulminer contre la décadence des m½urs, de hurler contre l'idolâtrie et « la civilisation de mort », il va monter à Jérusalem pour ouvrir le carcan où certains ont enfermé « sa » religion.
Il n'en doute pas : cela va lui coûter très cher.  
Et pour la première fois, il leur enseigna qu'il fallait que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les anciens, les chefs des prêtres et les scribes, qu'il soit tué et que, trois jours après il ressuscite. Jésus disait cela ouvertement.
Tournant central de la vie du Messie : son nouvel enseignement n'est ni soumission résignée à la fatalité ni goût du martyre. Il sait que, certaines de leur bon droit, les autorités religieuses du temple ne pourront accepter un « Messie » qui remet en question leur système mais sa mort sera celle de l'agneau qui provoque la libération, la sortie hors de tout enfermement ; relevé dans la Vie, il sera le Fils de l'Homme à qui Dieu remet tout pouvoir. Ainsi le Royaume du Père pourra de la sorte effectuer sa percée dans l'univers entier, Jérusalem pourra communier avec Césarée, Athènes et Rome.
Aujourd'hui à quelle purification l'Eglise est-elle appelée afin que la Bonne Nouvelle ne soit pas obnubilée par des formules et des traditions et que le monde entende l'appel de l'Evangile ?

« Etre tué » ? Après tant de miracles et de succès populaires, cette nouvelle annonce de Jésus fait l'effet d'une bombe chez les disciples : comment accepter pareille éventualité ?

Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches mais Jésus se retourna et voyant ses disciples, il interpella vivement Pierre : «  Passe derrière moi, satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes ».
« Le pape » reproche à Jésus de n'avoir pas confiance en ses amis : «  Nous saurons bien te défendre. Un Messie-Sauveur ne peut être que vainqueur. Nous fonderons une Eglise somptueuse et invincible ! ». Cette tentation de Pierre reprend celle rencontrée par Jésus dans sa retraite du désert : déjà là le « satan » (accusateur) avait fait miroiter le triomphe sur le monde. Cependant Jésus ne « déboulonne » pas celui qu'il a mis à la tête du groupe mais il le remet vertement, et devant tous, à sa place : tu dois marcher derrière le Maître, humble disciple sur les traces d'un Seigneur qui t'entraîne sur le chemin du service. Injonction que, hélas, certains papes n'ont guère écoutée !

Et il n'y a pas que Pierre et les apôtres qui sont appelés à prendre cette voie  mais « la foule et les disciples » c.à.d. tout être humain.
Appelant la foule avec ses disciples, il leur dit : «  Si quelqu'un veut marcher derrière moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et pour l'Evangile, la sauvera ».
« Si quelqu'un... » : Jésus ne force pas les disciples qu'il a naguère appelés, chacun reste libre car l'amour de Dieu n'enferme jamais. Mais celui qui se décide doit « se renoncer » : non se tenir pour rien, se dédaigner, mais cesser de s'accrocher à ses opinions spontanées pour adopter une vie évangélique qui le conduit au don de sa vie. L'expression « porter sa croix » ne signifie donc pas que le disciple devra s'infliger des pénitences mais qu'il sera à son tour incompris, marginalisé, condamné, parfois mené au supplice ou même à la mort car l'Evangile est une force tellement subversive qu'il fait peur aux Pouvoirs. Les Caïphe (pouvoir religieux) et les Pilate (pouvoir politique) se hérisseront toujours devant ce qui leur paraît une menace pour leurs privilèges et leurs certitudes : craignant pour leurs trônes, ils feront toujours tout pour bâillonner l'Evangile et pour supprimer quiconque s'engage à le vivre.
Jésus est certain que son Père ne veut pas ses souffrances ni n'exige sa mort ; et lui-même ne contraint pas son Eglise à l'écrasement. Mais les hommes - et même certaines autorités religieuses - se durciront implacablement contre ceux qui dénoncent leur orgueil, leur aveuglement, la corruption, l'idolâtrie de l'argent parce qu'ils veulent une « foi » authentique et une société de droit et de justice.

Le monde occidental s'était moqué de cet appel et avait voulu construire une infinie puissance, et voilà que le colosse vacille, que ses fondements se fendillent, qu'il tremble pour son avenir.
L'Evangile n'a jailli en vérité que par la résurrection de celui qui a accepté d'être crucifié : il ne poursuivra sa route que par une Eglise qui rejette toute tentation « satanique » et par des disciples qui perdent leur vie pour le vivre et le proclamer dans le monde entier.