24ème dimanche ordinaire

Auteur: Philippe Henne
Date de rédaction: 16/09/17
Année: 2016-2017

Pardonner, ce n’est pas seulement rendre la vie à l’autre, celui qui nous a blessés, mais c’est aussi, et peut-être surtout, se donner la vie à soi-même.

Il n’y a rien de plus dangereux que de sa laisser envahir par la rancune.  Il y a des gens qui nous ont blessés, soit volontairement, soit involontairement.  Et, consciemment ou inconsciemment, nous gardons vivante la trace de cette blessure.  Combien de fois ne nous arrive-t-il d’entendre quelqu’un d’un certain âge réagir violemment : « celui-là ! Non, je ne veux plus le voir, après ce qu’il m’a fait en 1942 ».  Eh oui ! Après des années, des lustres, des dizaines d’années, nous gardons de vieilles rancunes.  C’est à ce point qu’un jour par hasard je prononçai le nom d’un confrère mort depuis longtemps.  Aussitôt, un autre confrère, pourtant atteint d’un Alzheimer profond, s’est écrié : « oh ! Celui-là ! Quel sinistre personnage ! » J’ai eu beau posé quelques questions.  Le frère outragé était incapable de dire pourquoi le frère mentionné était un sinistre personnage.  Donc, malgré l’Alzheimer qui efface tout, la rancune demeurait bien vivace. Et il n’y a pas seulement la rancune contre l’une ou l’autre personne.  Il y a aussi la liste des exclus qui s’allonge.  Oui, nous sommes toujours un peu blessés par celui-ci, ou par celui-là.  Et petit à petit la liste des gens avec lesquels nous prenons nos distances s’allonge.  Et petit à petit le voisinage des gens auxquels nous faisons confiance devient de plus en plus étroit.  Et on voit des couples ou des communautés qui n’ont plus rien à se dire parce que de toutes façons cela ne sert à rien.  Et on voit des gens qui n’ont plus personne à qui parler parce qu’ils ont petit à petit exclus tout le monde autour d’eux.

Oui, mais, me direz-vous, ces personnes m’ont blessé, elles m’ont injustement maltraité.  Et vous avez raison.  Pardonner, c’est être injuste envers soi-même et avec la loi, la politesse, les bonnes manières.  Mais, voyez-vous, la justice est représentée par une femme, les yeux bandés, le glaive à la main.  Et elle est toute seule.  Alors que la Vierge Marie, maltraitée par la vie, est entourée d’une multitude de croyants.  Elle a pardonné à la vie qui l’a trompée.  Elle a pardonné aux apôtres qui ont suivi Jésus.  Elle aurait pu leur en vouloir et pensé que, volontairement ou involontairement, ils avaient entraîné son fils sur les voies d’une étrange révolution. 

Pardonner, c’est piétiner son amour-propre.  Seul Dieu est capable de faire cela.  Et nous, comment pouvons-nous pardonner ? Peut-être en changeant notre regard sur la vie et sur les autres.  Nous sommes souvent déçus parce que, pleins d’énergie et de bonne volonté, nous voudrions changer les choses en quelque chose de meilleur selon nos plans et nos projets, alors que, peut-être, il faudrait d’abord considérer les richesses qui sont autour de nous, et leur donner la grâce et la possibilité de pouvoir se développer.  Cela nous oblige à regarder l’autre avec un nouvel intérêt.  Cela nous oblige à quitter notre monde pour s’ouvrir à celui du Bien-aimé.

C’est tous les jours qu’on apprend à pardonner.  C’est tous les jours qu’on se donne l’un l’autre la chance d’exister à nouveau.