26e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 1998-1999

En entendant l'évangile, je ne puis m'empêcher de penser à Ludivine. Comme le diraient certains, dans les termes d'aujourd'hui, Ludivine est une enroule et elle est « frappa-dingue » de mener sa vie comme elle le fait. Je traduis pour celles et ceux qui comme moi, ne sont pas habitués à ce type de langage. Ludivine est prostituée, elle est une de celles que nous ne comprenons pas, dont nous désapprouvons le métier. Un brin de condescendance et peut-être même de dégoût, voire de mépris. En tout cas un être qui est tombé bien bas, trop bas sans doute. Et pourtant, nous dit Jésus, elle nous précède dès maintenant, ici-bas dans le Royaume de Dieu. C'est quand même un peu fort de café cette affirmation de Jésus. Comme je vous l'ai déjà dit, je crois, du moins j'espère, être celui dans cette assemblée qui a eu le plus de prostitués et de prostituées dans ses bras. Pour celles et ceux qui ne me connaissent pas, c'était à New York comme aumônier et non pas comme client bien évidemment.

Même si c'était il y a quelques années déjà, leurs visages vivent en moi. Ils étaient tous tombés si bas, blessés par la vie. Et pourtant, je n'ai jamais autant senti la présence de l'Esprit que dans les rues de Manhattan la nuit. Michaël se considérait comme une sous-merde. Peu avant de mourir, nous lui avons fait prendre conscience qu'être trilingue était un atout dans la vie et il était redevenu quelqu'un à ses propres yeux. Cathy avait toujours sur elle une petite boite métallique contenant les cendres de sa maman qui l'avait abandonné à la naissance et qu'elle venait de retrouver juste trop tard. Margareth pouvait à nouveau dire « je t'aime » après tant d'années d'abus incestueux. Vance, poète et prostitué, écrivit un jour ses mots : « à quoi cela sert-il de construire des châteaux de sable, ils sont de toute façon détruits par la mer. Croire cela est faux. Ils restent à jamais graver dans la mémoire des vagues ». Enfin pour ne pas trop allonger la liste, Patrick me dit vers 4 heures du matin, alors que je ne le connaissais pas : « Père, par le simple fait de votre en présence en ce lieu, je découvre que Dieu m'aime encore. Merci ». Et puis, il s'est enfuit dans la nuit. Le point commun de tous ces jeunes dont le plus âgé avait 23 ans, c'est qu'ils sont tous morts au moment où je vous parle. Ils sont morts mais vivent dans le Royaume de Dieu. Oui, ils nous précèdent.

Ils nous précèdent parce que lorsque l'on touche de la sorte le fond de son être, il n'y a plus de place pour la suffisance, l'arrogance, la prétention. Ce que publicains et prostitués nous apprennent à nous les bien-pensants, les ingécos quoi de la première lecture et tous ceux et celles qui leur ressemblent, les nantis de la vie avec notre lot de blessures également, c'est que le Royaume de Dieu se gagne avec les fruits de l'humilité. Etre humble, contrairement à ce que notre culture nous a fait croire, ce n'est pas s'humilier, s'écraser, ne plus exister. Non pour être humble, il faut d'abord bien se connaître, s'apprécier dans ses forces et ses fragilités. L'humilité est la qualité des êtres qui s'aiment d'abord eux-mêmes. Qui s'aiment et non pas qui se suffisent. Les êtres prétentieux s'intéressent à eux et non pas aux autres. Ils se donnent l'impression de se suffire à eux-mêmes. Mais quel mensonge.

Nous sommes des êtres de relation et nous avons besoin de cette dernière pour exister, pour vivre. L'humilité est une attitude du coeur, c'est prendre conscience de notre être mais sans jamais le faire peser sur celles et ceux qui croisent mon chemin. La personne humble reconnaît de la sorte la valeur de l'autre. Je ne te suis ni supérieur, ni inférieur, nous partageons ensemble notre condition humaine. Mon seul désir est de te rencontrer. Pour ce faire, je refuse de m'enfermer dans la spirale du plus et du moins. Tout être, quel qu'il soit, quoiqu'il ait fait, garde sa valeur aux yeux de Dieu. Si c'est vrai pour Dieu, il devrait en être de même pour nous. Ne pas juger, ne pas condamner, simplement rencontrer. Et la rencontre, c'est tout simplement l'union de deux histoires qui se racontent en vérité. Cela nous demande une fameuse dose d'humilité. L'humilité, c'est créer un espace d'abord en nous pour laisser l'autre exister en toutes ses composantes. Prostitués et publicains sont peut-être petits à nos yeux mais grands dans le coeur de Dieu. Ne marchons pas à côté d'eux avec dédain, mais partons à leur rencontre, eux aussi, à leur manière nous montrent le chemin de la vie. En toute humilité. C'est d'ailleurs ce que saint Paul nous dit dans sa lettre aux Philippiens. Amen.