Un jour, un jeune novice arrive au monastère. La tâche qui lui est assignée est d'aider les autres moines à recopier les anciens canons et règles de l'église. Très vite, il remarque que ces moines effectuent leur travail à partir de copies et non des manuscrits originaux. Etonné de cela, il va voir le père abbé, lui faisant remarquer que si quelqu'un a fait une petite erreur dans la première copie, elle va se propager dans toutes les copies ultérieures. Le père abbé lui répond : "Cela fait des siècles que nous procédons ainsi, que nous copions à partir de la copie précédente, mais ta remarque est pertinente, mon fils et j'irai donc rechercher les originaux."
Le lendemain matin, le père abbé descend dans les profondeurs du sous-sol du monastère, dans une cave voûtée où sont précieusement conservés les manuscrits et parchemins originaux. Cela fait des siècles que personne n'y a mis les pieds et que les scellés des coffres sont intacts. Il y passe la journée toute entière, puis la soirée, puis la nuit, sans donner signe de vie. Les heures s'écoulant, l'inquiétude grandit. A un tel point que le jeune novice se décide à aller voir ce qui se passe. Il descend et trouve le père abbé complètement hagard, se cognant sans relâche la tête contre le mur de vieilles pierres. Le jeune moine se précipite et demande : "Père abbé, que se passe-t-il donc ?" Et à ce dernier de répondre : "Depuis de siècles nous sommes dans l'erreur, ce n'est pas chasteté, c'est charité !"
Ce petit clin d'½il monastique pour mieux comprendre le sens de l'évangile de ce jour qui est d'une certaine violence verbale. En tout cas au premier abord même si jamais personne n'a entendu ce texte dans un sens littéral. Heureusement, car il y a à parier que beaucoup d'entre nous, voire même tout le monde, seraient aujourd'hui borgnes, estropiés ou manchots. En fait, le Christ se met à notre niveau. La violence de ses propos répond à nos propres violences, c'est-à-dire ces violences que nous nous imposons à nous-mêmes ou pire encore celle que nous faisons vivre à d'autres et qui les font tomber. Tel est le scandale dénoncé par Jésus : faire tomber l'autre ou se faire tomber.
Il n'y a rien de pire que cela pour notre humanité puisque Dieu attend de nous que nous soyons des êtres en marche, c'est-à-dire debout. Il souffre de nos trébuchements ou des croches-pieds que nous faisons à d'autres. C'est la raison pour laquelle le Christ se devait de dénoncer de telles attitudes surtout lorsqu'elles sont commises de manière consciente. Elles sont alors un scandale pour le ciel sur cette terre. En aucune façon, la foi ne peut se contenter de belles paroles, de belles intentions. Ce serait trop simple, voire même mensonger. Non notre foi n'est vraie que lorsqu'elle s'enracine dans notre vie. Si je me dis croyant en Dieu et qu'en même temps mes mots sont des coups d'épée lacérant l'âme de la personne à qui je m'adresse, je ne suis plus en vérité et je deviens un scandale pour la foi.
Or, comme le rappelle l'histoire monastique entendue il y a quelques instants, nous redécouvrons que l'essentiel est la charité. C'est pourquoi, nous pouvons affirmer qu'en tant que croyantes et croyants, la charité est le seul v½u auquel il ne nous est pas possible de nous dérober.
Par notre profession de foi en Dieu, par notre désir de mettre nos pas dans les valeurs que le Christ nous propose, nous sommes conviés toutes et tous à faire ce v½u de charité. Non pas par nécessité, encore moins par culpabilité déplacée mais par amour de Dieu, par amour de la vie. Dieu nous invite à faire le bien, non pas parce que c'est bien mais par amour, (comme l'a fait remarqué l'un de ceux qui a préparé cette célébration). Notre v½u de charité nous engage non pas à nous croire meilleurs par les actes et gestes que nous posons puisque nous sommes tous égaux devant Dieu, mais plutôt à vivre cette charité dans l'égalité.
Car lorsque j'accepte que l'autre est mon égal, comme le dit saint Augustin, je reconnais que je ne suis pas mieux que lui et nous pouvons alors tous deux être sous la dépendance du seul auquel je ne peux rien donner si ce n'est ma vie, c'est-à-dire Dieu. Et le don de nos vies, en tant que croyantes et croyants, passe par le v½u de charité. Prenons alors le temps de lui redire que nous voulons vivre de cet amour dans nos paroles et nos actes pour être pleinement en cohérence avec nous-mêmes et avec Lui.
De la sorte, nous serons un peuple en marche conscient de notre v½u de charité par amour de l'autre au nom du Tout Autre.
Amen.