26e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2006-2007

Ils étaient tous les deux accoudés au comptoir du pub dominicain à Louvain-la-Neuve et ce soir-là, j'étais de service ce qui m'a permis d'entendre la conversation suivante. « Tu comprends, dis le premier, pour moi, il n'est plus question de croire en Dieu depuis la mort de ma petite fille dans mes bras, il y a un peu plus de seize ans. J'ai été baptisé, j'ai fait mon catéchisme, c'est vrai que je n'allais plus beaucoup à la messe mais je croyais en Dieu et il m'arrivait régulièrement à prier jusqu'au jour du drame. Tu te rends compte, elle avait à peine quelques semaines et Dieu me l'a reprise. Suite à cela, j'ai décidé que Dieu était mort et que je ne croirai plus jamais en lui. D'ailleurs n'essaye pas de me convaincre du contraire. Tu n'y arriveras pas, conclut-il ». Il y eut un silence entre ces deux personnes puis le second prit la parole. « Il est évident que je ne peux pas me mettre à ta place. Je n'ai jamais vécu l'expérience dramatique de la perte d'un enfant. Je n'ai aucun conseil à te donner. Toutefois, permets-moi de m'interroger quelque peu par rapport à ce que tu viens de dire surtout quand tu affirmes que depuis cet événement tragique, pour toi, Dieu est mort et tu ne croiras plus jamais en lui. Alors, voici ma question : quand tu croyais en Dieu, tout allait bien pour toi. Tu étais heureux dans ton couple, dans ta vie professionnelle ? ». Evidemment, répondit le premier. « Mais quand toi tu étais heureux, reprit le second, et que tu croyais en Dieu, ne voyais-tu pas qu'autour de toi d'autres pouvaient souffrir de la perte d'un être cher, vivaient l'expérience de la maladie incurable ? Je m'étonne toujours, conclut-il, que des gens puissent croire en Dieu quand tout va bien pour eux et qu'ils décident de s'en débarrasser dès qu'ils sont confrontés à la réalité de la souffrance. Etaient-ils à ce point aveuglés par rapport à la réalité de la vie ? ».

En méditant l'évangile de ce jour, je me suis rappelé ce débat de comptoir de pub car il ne me semble pas très différent de la réalité du riche de l'évangile vis-à-vis de Lazare. Cet homme n'était pas mauvais ; en tout cas, rien ne le dit. Il vivait sa vie. Il en profitait au maximum. On pourrait même affirmer que sa vie était comblée. Toutefois, tellement épris de sa propre plénitude, il était aveuglé. Il n'était plus capable de voir ce qui se vivait autour de lui. Le riche était un peu comme ce papa qui avait perdu son enfant. Quand tout allait bien pour lui, il pouvait croire en Dieu. Il ne se posait pas de question et ne voyait pas la réalité à laquelle d'autres pouvaient être confrontés au même moment. Par contre, à l'instant même où sa vie a basculé, l'idée de Dieu lui était devenue intolérable comme s'il avait fallu attendre que lui-même soit touché pour oser prendre conscience de la dureté de la vie. Toutes et tous, à un moment donné de notre histoire, nous sommes touchés par l'épreuve de la souffrance et ce, de quel type que ce soit. Elle fait partie de notre réalité humaine. Nous risquons de nous enfermer dans une spirale mortifère de « pourquoi moi ? qu'ai-je donc fait pour mériter cela ? ». A ces questions, nous n'aurons jamais de réponse certaine. Nous sommes face au mystère de la vie qui peut nous laisser en désarroi. Toutefois, en laissant le temps au temps, nous sommes conviés à quitter nos « pourquoi » en un mot pour passer petit à petit dans une nouvelle dynamique, celle du « pour quoi » en deux mots, c'est-à-dire « pour en faire quoi ? ». Il n'y a pas de but à toute forme de souffrance. Cette dernière, nous devons la combattre à tout prix tellement elle est injuste. L'épreuve peut nous sembler bien lourde à porter, surtout lorsque nous ne voyons pas la fin du tunnel. Et pourtant, l'Esprit de Dieu nous accompagne sur notre route intérieure pour nous aider à vivre ce passage du « pourquoi » en « pour quoi ». Cette étape prendra le temps qu'il faut et variera en fonction des situations et de nos personnalités mais quelle que soit l'issue, nous pouvons trouver en nous la réponse à cette question « pour en faire quoi ? ». Ce que le riche de l'évangile n'avait sans doute pas compris, c'est que ce chemin personnel ne peut pas se faire seul. Nous avons besoin de trouver autour de nous des personnes ayant les yeux ouverts sur les autres et étant désaveuglées d'elles-mêmes. C'est en effet par elles que Dieu s'adresse à nous. Valides ou moins valides, ouvrons à nouveau les yeux et partons à la rencontre de celles et ceux qui par un sourire, un geste de tendresse, une écoute bienveillante, une parole prudente nous aident non pas à comprendre ce qui nous arrive mais à trouver un sens qui dépasse notre entendement humain tout en nous conduisant vers la lumière divine. Dieu a besoin de nous pour nous soutenir l'un l'autre. Dieu passe par nous pour nous faire partager l'immensité de son amour. Dès lors, éveillons-nous les uns aux autres pour qu'il n'y ait plus jamais parmi nous un Lazare. Alors et alors seulement, le Ciel sera sur la Terre.

Amen.