Nous ne serons pas surpris d'entendre encore aujourd'hui, de la part de saint Luc, un nouvel enseignement du Seigneur sur l'usage des richesses. Pour cet évangéliste, le rapport à l'argent est d'une haute importance spirituelle car il peut, ou non, conduire sur le chemin de l'amour ou de la perdition.
Jésus dit cette parabole : " Il y avait un homme riche qui portait des vêtements de luxe et faisait chaque jour des festins somptueux. Un pauvre, nommé Lazare, était couché devant le portail, couvert de plaies. Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; mais c'était plutôt les chiens qui venaient lécher ses plaies....
Procédé pédagogique : la parabole force les traits et met en scène deux personnages extrêmes. D'un côté, un homme richissime, jouisseur, étalant son luxe sans vergogne, enfermé dans son moi sans faille ; de l'autre un misérable absolu, sans famille, sans ressources.
Le malheureux n'exige pas le partage des biens, l'expropriation des moyens de production, il ne rêve pas d'égalité et il ne maudit pas le riche : simplement il veut VIVRE, donc avoir de quoi manger un peu tous les jours. Les restes des banquets lui suffiraient...et on les lui refuse ! Or il se tient près du seuil de la maison, le riche ne peut pas ne pas le voir en sortant.
Or le pauvre mourut et les anges l'emportèrent auprès d'Abraham. Le riche mourut aussi et on l'enterra. Au séjour des morts, il était en proie à la torture : il leva les yeux et vit de loin Abraham avec Lazare tout près de lui.
Alors il cria : Abraham mon père, prends pitié de moi et envoie Lazare tremper dans l'eau le bout de son doigt pour me rafraîchir la langue, car je souffre terriblement dans cette fournaise.
Mon enfant, répondit Abraham, rappelle-toi : tu as reçu le bonheur pendant ta vie, et Lazare, le malheur. Maintenant il trouve ici la consolation, et toi, c'est ton tour de souffrir. De plus, un grand abîme a été mis entre vous et nous pour que ceux qui voudraient aller vers vous ne le puissent pas et que, de là-bas non plus, on ne vienne pas vers nous.
Tant que nous vivons, nous décidons de notre conduite et nous pouvons toujours la faire basculer soit du côté du bien soit du côté du mal. Mais la mort fixe les situations pour l'éternité. Dieu est juste : il se doit de combler celui qui a souffert en gardant la foi et il l' accueille dans le Royaume des croyants (avec le père Abraham, modèle de l'homme humble qui se remet à Dieu) tandis que le mauvais qui s'est blindé dans sa forteresse se retrouve enfermé dans sa passion inutile.
Ce n'est donc pas Dieu qui distribue les places : l'homme fait lui-même son destin éternel. Puisque l'égoïste n'a pas voulu, sur la terre, exercer la miséricorde envers son prochain, il s'est rendu incapable de recevoir, dans l'autre monde, la miséricorde pour lui-même.
Le mur qu'il a dressé pour se protéger des misérables l'enferme, l'empêche de bondir dans le monde de Dieu. Les situations sont irrémédiables. Il n'y a plus de temps, plus de place pour le repentir.
Eh bien, père Abraham, je te prie d'envoyer Lazare dans la maison de mon père. J'ai cinq frères : qu'il les avertisse pour qu'ils ne viennent pas, eux aussi, dans ce lieu de torture.
Ils ont Moïse et les Prophètes, dit Abraham, qu'ils les écoutent !
Jésus n'innove pas : depuis toujours les Ecritures juives - Moïse et les Prophètes - enseignaient très clairement le devoir impératif de l'entraide. Exemples parmi d'autres :
" Il n'y aura pas de pauvre chez toi tellement le Seigneur t'aura comblé de bénédiction ...S'il y a chez toi un pauvre, l'un de tes frères...tu n'endurciras pas ton c½ur et tu ne fermeras pas ta main à ton frère pauvre, mais tu lui ouvriras ta main toute grande" ( Deutéronome chapitre 15)"Je déteste vos pèlerinages, dit Dieu, éloigne de moi le brouhaha de tes cantiques...Mais que le droit jaillisse comme les eaux et la justice comme un torrent intarissable" (Le prophète AMOS chapitre 5)
"Dieu dit : Vous avez beau multiplier les prières, je n'écoute pas ! Apprenez à faire le bien, recherchez la justice, mettez au pas l'exacteur, faites droit à l'orphelin..." ( Le prophète ISAÏE chap. 1)
Il faudrait donc lire et pratiquer les Ecritures ? Le riche sait bien que c'est le cadet des soucis de ses frères. Ils lui ressemblent : de toutes façons ils refuseront de les appliquer. Mais est-ce qu'un grand miracle ne pourrait avoir de l'effet sur eux ? L'homme insiste :
Non, père Abraham, mais si quelqu'un de chez les morts vient les trouver, ils se convertiront !
Non, répond Abraham, s'ils n'écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu'un pourra bien ressusciter d'entre les morts, ils ne seront pas convaincus !"
Terrible constat de la dureté du c½ur humain : un grand miracle, même la rencontre d'un ressuscité, ne parviendrait pas à les faire changer ! On a rarement à ce point stigmatisé l'état d'esclavage où la cupidité peut réduire un être humain !
Et on présume que saint Luc, par là, tient à alerter les chrétiens : si nous croyons que Jésus est ressuscité, tirons-en rapidement les conséquences. Convertissons-nous, brisons nos carapaces, piétinons notre égoïsme, décentrons-nous, osons voir le prochain affamé, prêtons l'oreille aux cris des malheureux ! Pendant qu'il en est temps !
" Là où les hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l'homme sont violés. S'unir pour les faire respecter est un devoir sacré "Père Joseph Wresinski , fondateur d'atd Quart Monde Texte gravé sur une dalle au palais de Chaillot Paris
Concile Vatican II : " Dieu a destiné la terre à l'usage de tous les hommes en sorte que les biens de la création doivent équitablement affluer entre les mains de tous...C'est pourquoi l'homme ne doit jamais tenir les choses qu'il possède légitimement comme n'appartenant qu'à lui, mais les regarder aussi comme communes, en ce sens qu'elles puissent profiter non seulement à lui mais aussi aux autres...Tous les hommes ont le droit d'avoir une part suffisante de biens...Les Pères enseignaient que l'on est tenu d'aider les pauvres, et pas seulement au moyen de son superflu !!! "