Il était une fois... un jour où il faisait effroyablement froid ; il neigeait depuis le matin. Le soir approchait, le soir du dernier jour de l'année. Au milieu des rafales, par ce froid glacial, une pauvre petite fille marchait dans la rue ; elle n'avait rien sur la tête, elle était pieds nus. Les pieds de la pauvre enfant étaient devenus rouges et insensibles. Elle portait des allumettes qu'elle protégeait dans son vieux tablier. Personne hélas ne s'arrêtait pour considérer l'air suppliant de la petite. La journée finissait, et elle n'avait pas encore vendu un seul paquet d'allumettes ; personne ne lui avait fait l'aumône de la moindre pièce de monnaie. Tremblante de froid et de faim, elle se traînait de rue en rue ; elle était l'image même du malheur et du désespoir. De chaque maison, sortait l'odeur de la dinde qui cuit et les lumières de la fête. Elle aperçoit un recoin, où elle s'assied et se blottit cachant ses pauvres pieds sous sa jupe ; elle grelotte et frissonne de plus en plus. L'enfant sentant ses mains geler peu à peu, décide d'allumer une allumette. Quelle flamme merveilleuse. La première flamme l'a fait rêver d'un grand poêle bien chaud, la deuxième d'un repas festif, puis un sapin lumineux et enfin sa grand-mère qu'elle aimait tant. A cette dernière, elle supplie : "grand-mère, emmène moi". Touchée par la supplication de sa petite fille, la grand mère prend la petite dans ses bras et , s'élançant dans les airs, elle la porte bien haut, bien haut, en un lieu où il n'y a plus ni le froid, ni la faim, ni le chagrin ; c'est devant le trône de Dieu. Le matin, des passants ont trouvé le corps de la petite ; elle était morte de froid, pendant la nuit. Ils ignoraient que si, elle avait bien souffert durant sa trop courte vie, elle goûtait maintenant dans les bras de sa grand-mère le plus doux des bonheurs.
N'est-il pas merveilleux de découvrir que le conte d'Andersen "la petite fille aux allumettes" a quelques ressemblances avec l'homme riche de l'évangile. Vous ayant parlé de Dieu et l'Argent la semaine passée, en vous rappelant que l'objectif de l'argent c'est de le transformer en Amour, je ne reviendrai pas sur ce thème-là. La question que nous nous sommes posée en préparant cette eucharistie est la suivante : mais qu'est-ce qu'on lui reproche à ce riche ? D'autant que l'un d'entre eux, derrière moi, disait, on est tous des bourgeois à Rixensart, même toi. Comme quoi, je reçois aussi des claques en préparant cette liturgie. Pourtant au-delà de cette remarque, l'homme riche n'avait rien fait de mal. Il vivait dans sa maison, il s'habillait assez chicos, c'est vrai. Ses vêtements coûtaient plus ou moins deux mille francs belges de cette époque, alors que le salaire journalier d'un ouvrier était de deux francs belges. Mille jours de travail d'un homme pour le coût des vêtements d'un autre. Il y a comme un scandale qui crie vengeance au Ciel. Il fêtait également tous les jours. Il dépensait donc beaucoup, un peu trop sans doute. Mais est-ce un péché ? En effet, il vivait et ne faisait rien de mal : on ne parle pas d'exploitation d'esclaves, de brimades injustes. Non, sa maison était cossue, il semblait heureux, fréquentait les gens de son milieu : cherchez l'erreur.
Il ne faisait rien de mal, c'est vrai. Pire encore, il ne faisait rien du tout. Et nous voici au coeur du problème. L'homme riche s'était enfermé dans son petit monde à lui, il l'avait peut-être même un peu verrouillé. Il acceptait tout simplement que Lazare fasse partie du paysage, simplement comme les quelques mauvaises herbes éparpillés dans sa pelouse, il lui semblait tout à fait naturel voire inévitable que Lazare puisse vivre en souffrant et en ayant faim alors que lui se complaisait, se vautrait dans ses richesses matérielles. L'homme riche était capable de porter un regard rapide sur la misère du monde sans s'émouvoir. Il ne fit rien pour changer tout cela. Voilà la raison qui le conduisit en enfer : il n'avait rien fait de mal, c'est vrai. C'était encore pire, il n'avait rien fait du tout. Son drame était la cécité du coeur. Cet aveuglement peut nous menacer quand nous nous enfermons dans notre petit confort intérieur. Les "on n'avait pas vu, on ne s'en était pas rendu compte", n'ont pas de place au Royaume de Dieu.
L'homme riche voulut alors éviter un condamnation éternelle en envoyant un messager à ses frères. La réponse est cinglante : si vous voulez des signes, lisez et vivez de la Parole, il n'y a rien de plus extraordinaires que Celle-ci. L'évangile de ce soir, nous invite alors à oser nous poser la question suivante : ma Bible est-elle déjà suffisamment feuilletée, usée ? Et si vous cherchez les prophètes, regardez dans les yeux de votre prochain. Amen.