28e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Coulée André
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2002-2003

Pourquoi cet épisode de l'évangile a-t-il un air triste ? On a l'impression de quelqu'un qui vient de rater quelque chose, de passer à côté de quelque chose d'important. Et vr que dit Jésus semble très dur, presque inhumain. Est-ce vraiment là une bonne nouvelle ?

Jésus y va vraiment fort. On pourrait presque réagir comme après le discours sur le pain de vie où Jésus disait que pour vivre il fallait manger sa chair : « C'est pas possible C'est trop fort ! Qui peut l'écouter ? » Et pourtant c'est un chemin de libération que Jésus propose aujourd'hui. L'homme en question est un homme pieux, un bon pratiquant ; il semble béni de Dieu puisqu' il est riche ; (ps. 112) il a ce qu'il lui faut et bien plus. Et même il admire Jésus et le reconnaît comme maître de vie. Il voulait sans doute, pour être sûr de son salut, que Jésus lui donne confirmation que sa vie était en conformité avec les exigences de sa religion, qu'il connaît d'ailleurs fort bien. Il ne se doutait pas du courant d'air qu'il allait provoquer en lui ouvrant la porte avec sa question. Car Jésus lui propose le « plus » qui le rendra libre par rapport à cette angoisse quelque peu scrupuleuse de l'observation de sa religion : dépossède-toi, lui dit-il, donne et donc rends-toi libre, et viens avec moi. Mais lui dont la richesse semble être la preuve de sa fidélité religieuse ne parvient pas à aller plus loin et fait demi-tour, tout triste.

Ce que Jésus lui propose c'est d'ouvrir son c½ur autour de lui et d'aimer. Jésus le regarde et l'aime, sans doute parce qu'il sent en cet homme le désir mais aussi la capacité de faire plus, de ne pas rester fermé, concentré sur lui-même, sa sainteté, sa réussite spirituelle. Au lieu de tourner autour de lui-même, il est convié à répondre à l'amour de Jésus que celui-ci lui propose de partager : viens et suis-moi. Mais si tu veux aimer, il faut te débarrasser de ce qui peut obstruer l'amour. Quand tu auras tout donné, il ne te restera plus que l'amour à donner ; tu seras libre de donner ton amour, c'est-à-dire de te donner toi-même et d'être ouvert aux autres.

Dans ce texte, il ne s'agit pas d'un enseignement sur les richesses, mais sur la place qu'elles peuvent prendre dans la vie de quelqu'un. A un moment donné, elles risquent d'aveugler, ou du moins d'obscurcir la vue et surtout la volonté. Si notre c½ur est comblé par elles, il n'y a plus de place ni pour autre chose ni pour l'autre. Et quand je dis richesses, il peut s'agir de n'importe quoi qui me donne une position, qui me complaît en moi-même. Ce peut être les honneurs, les décorations, les médailles, mais aussi parfois l'envie de monter comme on dit dans l'échelle sociale. Ainsi, un père de famille qui mettrait toute sa force à monter et pour cela travaillerait tellement qu'il ne lui reste plus de temps ni d'attention pour ses enfants tellement il serait pris pas son succès.

Jésus invite à toujours mettre en premier, comme priorité absolue, le don de soi pour aimer. Et la condition première est de donner tout ce qu'on a. Alors, dit Jésus, viens avec moi et accompagne-moi sur ce chemin là. Ainsi Jésus propose non pas une espèce d'ascétisme de satisfaction personnelle de sainteté pour être le plus beau, le plus fort dans la vie spirituelle, mais une réelle libération de ce à quoi nous sommes attachés pour que notre c½ur puisse se remplir d'amour, du souci de l'autre. Cela, c'est la priorité, même sur certaines attaches familiales, mais surtout sur des attaches matérielles ou d'honneurs personnelles.

Jésus, lui aussi, s'est vidé de lui-même. Mais on ne peut se libérer sans lutter ; c'est même une expérience humaine. Je me rappelle avoir travaillé avec des jeunes en Afrique du Sud du temps de l'apartheid. Plusieurs me disaient qu'ils n'avaient pas de toit à eux, et qu'ils avaient quitté leur famille, qu'ils ne se mariaient pas maintenant car ils ne voulaient pas être attachés afin de se consacrer tout entier à la lutte pour libérer leur peuple, les autres. Il leur fallait être libres eux-mêmes, pour les autres. C'est la condition de la disponibilité et du bonheur de servir, auquel Jésus invite l'homme en question, c-à-d nous.

Si Jésus pose son regard sur cet homme pieux et droit qui vient le trouver et qu'il insiste et l'aime, c'est parce qu'il sait que cet homme est capable de plus que ce qu'il fait déjà. Il lui propose, comme à nous, un bonheur plus grand, celui de vivre plus fort à condition de rompre ses attaches, de se libérer dans le don de soi, dans une nouvelle relation aux autres et à Dieu. Ce matin les enfants ont fait un petit sketch qu'on aurait pu appeler « qui perd, gagne ». Un enfant part au camp veut garder sa tute dans sa bouche ; les autres se moquent de lui et l'isolent. Comment cet enfant pourrait-il être en relation avec les autres s'il garde sa tûût dans sa bouche. C'est en la perdant qu'il gagnera le lien avec les autres car il peut alors leur parler, et manger le bonbon qu'on lui donne, et rire. Il faut être libre pour aimer. De quelle tute allons-nous nous débarrasser pour vivre nous-mêmes selon le c½ur de Dieu : telle est la question posée par Jésus. La réponse : à nous de la donner, avec Dieu qui rend possible l'apparemment impossible.