28e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

FAIRE POUR HÉRITER  ou  DONNER POUR SUIVRE

La montée de Jésus à Jérusalem, scandée par les annonces réitérées de la passion, comporte 5 rencontres où Jésus donne un enseignement sur les divers secteurs de la vie. Nous avons vu : l'autorité dans les communautés chrétiennes, le mariage, les enfants. Aujourd'hui voici la 4ème sur la vie économique.

Jésus se met en route quand un homme accourt vers lui, se met à genoux et lui demande : «  Bon Maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? ». Jésus répond : «  Pourquoi m'appelles-tu bon ? Personne n'est bon sinon Dieu seul. Tu connais les commandements : « Ne commets pas de meurtre, pas d'adultère, pas de vol, pas de faux témoignages, ne fais de tort à personne, honore ton père et ta mère ». L'homme répond : «  Maître, j'ai observé tous ces commandements depuis ma jeunesse ». Posant alors sur lui son regard, Jésus se met à l'aimer. Il lui dit : «  Une seule chose te manque : va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel ; puis viens et suis-moi ». Lui, à ces mots, devint sombre et s'en alla tout triste car il avait de grands biens !
En l'appelant « bon maître », l'homme aurait-il cherché à amadouer Jésus pour obtenir une « recette facile » ? En tout cas Jésus décline le titre : inutile de lui adresser des compliments, seule importe la vérité, si tranchante soit-elle.
« Faire pour hériter » : on reconnaît la mentalité légaliste, pharisienne : mériter le ciel, se mettre en règle. Jésus renvoie au c½ur de la Loi, les 10 commandements : toutefois il omet les devoirs envers Dieu et ne rappelle que les devoirs vis-à-vis du prochain et notamment, en finale, les devoirs envers les parents auxquels il ajoute une prescription du Deutéronome (24, 14) : «  Tu n'exploiteras pas un salarié malheureux et pauvre ; le jour même, tu lui donneras son salaire ». Donc cet inconnu est encore jeune (Matthieu parle d'un jeune homme : 20, 22), célibataire, fils d'un propriétaire avec journaliers.

Jésus ne le dément pas lorsqu'il professe sa bonne observance du décalogue, sa justice et sa piété filiale : regardant avec affection ce brave garçon pieux et honnête, il lui propose, comme il l'avait fait à Pierre, André, Jean, Jacques et Matthieu, de faire partie du groupe des apôtres itinérants : « Va, vends, donne, viens, suis-moi ». Et le jeune homme tout à coup se rend compte que, possédant beaucoup de biens, il est possédé par sa fortune. Ce qu'il A est tellement puissant que cela l'empêche d'ÊTRE libre. Impossible de renoncer, de laisser tout là, de se détacher. La propriété est devenue une prison.  Sans un mot, sans oser répliquer que Jésus exagère, conscient que la vérité vient de lui être dite et qu'il va rater sa vie, le jeune se détourne « tout triste ». Il n'a pas eu le courage de sortir de la cage dont Jésus lui ouvrait la porte.

Alors Jésus regarde tout autour de lui et dit aux disciples : «  Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d'entrer dans le Royaume de Dieu ! ». Les disciples étaient frappés de stupeur devant ces paroles. Jésus reprend : «  Mes enfants, comme il est difficile d'entrer dans le Royaume de Dieu ! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le Royaume de Dieu ». De plus en plus effrayés et déconcertés, les disciples se demandaient entre eux : «  Mais alors, qui peut être sauvé ? ». Jésus les regarde et répond : «  Pour les hommes, cela est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu ».
Nulle part dans les évangiles, Jésus n'appelle des gens mariés et parents à tout laisser pour partir avec lui : cet appel est réservé à certains, à des jeunes disponibles pour foncer dans cette aventure.
Mais toute personne est appelée à entrer tout de suite dans le Royaume de Dieu dont Jésus ne cache pas les exigences telles qu'elles nous sont peu à peu dévoilées en ces dimanches : être le dernier et serviteur de tous,  être comme un enfant et à présent se libérer de la dictature de l'argent.
Chaque fois, ces exigences buttent contre le scepticisme, l'incrédulité des disciples ; et ici leur stupéfaction, leur effroi est à son comble (les verbes de Marc sont très forts) : «  Comment ? On nous a toujours appris que Dieu bénissait les gens pieux en faisant réussir leurs entreprises et que la fortune était comme une récompense de Dieu pour ses fidèles ! » !!?....
Détrompez-vous, enseigne maintenant Jésus : l'attachement aux biens de ce monde empêche de participer au Royaume de l'amour de Dieu - donc de la liberté, du détachement, du partage, de la solidarité.
Mais ce que l'homme n'a pas la force de faire, Dieu le peut. S'il continue à le chercher, s'il va à la  vérité de toute son âme, s'il laisse mûrir en lui la leçon que Jésus lui a donnée, un jour peut-être, ce jeune demandera à Dieu la capacité de se détacher et il sera sauvé. Ce sera l'½uvre de la grâce de Dieu.

Pierre dit à Jésus : «  Voilà que nous avons tout quitté pour te suivre ».
Jésus déclare : «  Amen, je vous le dis : personne n'aura quitté, à cause de moi et de l'Evangile, une maison, des frères, des s½urs, une mère, un père, des enfants ou une terre, sans qu'il reçoive - en ce temps déjà - le centuple : maisons, frères, s½urs, mères, enfants et terres...avec des persécutions !  et, dans le monde à venir, la Vie éternelle ».
« Qui perd gagne » car l'idéal évangélique n'est pas nudité, dépouillement, pénitence mais enrichissement. Le Royaume de Dieu se déploie, dès aujourd'hui, comme une grande famille où les croyants qui ont renoncé à l'attachement exclusif aux liens familiaux et financiers retrouvent une amitié sans frontières, participent à une communauté où, toutes barrières abolies, on accepte de se venir en aide, de s'entraider, de partager ensemble la joie. Les possessions cessent d'être des enclos pour devenir ouvertes aux « frères et s½urs » dans la foi. Saint François, tournant le dos à son père et sa fortune a reçu des petits frères et des petites s½urs par milliers. Et chantant les merveilles de la nature, il s'en allait disant : « Pourquoi serais-je propriétaire alors que tout m'appartient ? »

Mais « avec des persécutions !! ». Cette réussite n'ira évidemment pas sans opposition farouche : non seulement on se moquera de cette utopie des imbéciles chrétiens mais on fera tout pour la faire échouer. Au nom du réalisme, des lois économiques, de la crainte du communisme, on préférera la jungle des affaires, la compétition mortifère, la réussite scandaleuse de certains au détriment de la misère des multitudes. Et par peur, des communautés dites chrétiennes, prétextant la prudence, n'oseront pas se risquer dans cette folie du don.
Remarquez bien : le disciple, dit Jésus, doit se détacher de sept réalités (maison, frères,...) et il les retrouvera au centuple...sauf « son père ». Car dans le Royaume, il n'y a plus de lignées nobles héréditaires et des pauvres manants, sans grade, issus de la plèbe sans nom. Tous et toutes alors n'ont plus qu'UN SEUL PERE UNIQUE et ils unissent leurs voix pour dire ou chanter : NOTRE PERE QUI ES AUX CIEUX ......

Le jeune homme pieux, gentil et honnête, demandait : «  Que faire pour hériter de la Vie ? ».
Et Jésus lui a appris à « DONNER POUR SUIVRE », à « ACCUEILLIR POUR VIVRE ».

Dans notre société de consommation qui sait si bien nous engluer dans la fascination des objets, nous séduire par le pouvoir de l'Argent, nous, chrétiens, saurons-nous écouter l'appel de Jésus, nous libérer des prisons ? Alors nous ne serons plus  moroses et « tout tristes » comme ce jeune qui n'a pas osé croire mais nos Eucharisties témoigneront de l'union joyeuse des c½urs libérés et d'une espérance qui n'est plus celle du cumul des choses mais de la communion des Etres vivants.
L'ANNEE DE LA FOI sera-t-elle riche en décisions de foi ?