28e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

LA RECONNAISSANCE EST PLUS QU'UN MERCI

De façon assez similaire, Marc, Matthieu et Luc ont raconté qu'aux premiers temps de sa mission, Jésus avait, par un simple contact de la main, purifié un lépreux rencontré sur la route (Matth 8, 1 ; Marc 1, 40 ; Luc 5, 12). Mais Luc est le seul qui, en outre, rapporte une autre rencontre de ce genre de malade : quelle est la richesse de cette scène supplémentaire qui constitue l'évangile de ce dimanche ? S'agit-il seulement d'une leçon de gratitude ?

10 LÉPREUX « PURIFIÉS SUR PAROLE »

Tout d'abord un mot sur cette maladie. A l'époque, le mot « lèpre » désigne toute grave infection dermatologique qui se signale par des taches, des pustules, des suintements et qui se manifeste comme hautement contagieuse. D'où la terreur provoquée par cette affection qui exige l'exclusion, la mise à l'écart de celui qui en est atteint. Les « lépreux » sont chassés de leur famille et de leur entourage, ils sont des parias avec lesquels il faut éviter tout contact. Souvent ces malheureux se regroupent et errent en implorant, de loin, quelque soutien. La lèpre n'est pas seulement une maladie, mais une « impureté » peut-être due à un châtiment de Dieu : aussi sa guérison est-elle appelée une « purification » qui doit être constatée par un prêtre du temple de Jérusalem et authentifiée par des sacrifices. Ce rituel obligatoire permet alors au malade de réintégrer la société (cf. « Lévitique 14 »).

Jésus, marchant vers Jérusalem, traversait la Samarie et la Galilée.
Comme il entrait dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre.
Ils s'arrêtèrent à distance et lui crièrent : « Jésus, maître, prends pitié de nous. »
En les voyant, Jésus leur dit : « Allez vous montrer aux prêtres ».
En cours de route, ils furent purifiés.
Luc rappelle sans cesse cette montée de Jésus vers Jérusalem : ici commence la dernière section qui aboutira, par Jéricho, à l'entrée dans la capitale. Les notations des lieux traversés restent imprécises car l'important n'est pas de reconstituer l'itinéraire exact pour que, plus tard, des chrétiens l'empruntent. Le chemin de tout disciple n'est pas de faire un pèlerinage en « terre sainte » (sic) : le seul vrai pèlerinage, c'est la vie du disciple qui renonce à lui-même, porte sa croix chaque jour et suit Jésus c.à.d. cherche à vivre comme il l'a enseigné (9, 23)
Tout à coup, sur le chemin, surgit un petit groupe de ces malheureux mutilés dans leur chair et « excommuniés » par leur peuple. Sans doute ont-ils entendu parler de ce Jésus qui opère des guérisons : selon la règle, ils s'arrêtent et de loin ils interpellent Jésus par le nom que, jusqu'à présent, les disciples étaient seuls à lui donner : « Maître ! ». Alors que naguère Jésus s'était approché du lépreux solitaire pour le toucher et le purifier sur le champ, ici, sans les guérir, il demande à ces pauvres hommes de le croire sur parole : « Allez au temple et montrez que vous êtes purifiés » !???...
Exigence énorme : toutefois, sans un mot, les lépreux obéissent....et effectivement, en route vers Jérusalem, ils constatent qu'ils sont guéris. On imagine leur joie folle, leur course en avant pour gagner Jérusalem, se précipiter dans le temple, se montrer aux prêtres et accomplir les sacrifices prescrits.
Mais neuf seulement vont jusqu'au bout : l'un d'eux rebrousse chemin et, au lieu d'aller au temple de Dieu, il revient en arrière vers Jésus.

UN LÉPREUX ÉTRANGER « SAUVÉ ».

L'un d'eux, voyant qu'il était guéri, revint sur ses pas, en glorifiant Dieu à pleine voix.
Il se jeta la face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce. Or, c'était un Samaritain.
Alors Jésus demanda : « Est-ce que tous les dix n'ont pas été purifiés ? Et les neuf autres, où sont-ils ? On ne les a pas vus revenir pour rendre gloire à Dieu ; il n'y a que cet étranger ! »
Jésus lui dit : « Relève-toi et va : ta foi t'a sauvé. »
Si, au point de départ, Israël était un petit peuple uni, très vite les tribus du nord avaient fait sécession, avaient construit une nouvelle capitale, Samarie, et un temple concurrent de celui de Jérusalem : aussi entre Judéens et Samaritains, l'animosité était grande. Précisément c'est un homme du nord, ne fréquentant pas le temple de Jérusalem, qui, se voyant guéri, revient sur ses pas en extériorisant son allégresse.
Luc aime signaler que la Bonne Nouvelle provoque des manifestations spectaculaires de joie : à Bethléem, après la découverte de l'enfant, les bergers « chantent la gloire et les louanges de Dieu » (2, 20) ; le paralytique guéri retourne « en rendant gloire à Dieu » et la foule l'imite (5, 25-26) ; idem à Naïn (7, 16) ; idem la femme redressée (13, 13) et l'aveugle de Jéricho (18, 43). Lorsque les apôtres sortiront du cénacle après avoir reçu l'Esprit-Saint, ils seront tellement joyeux qu'on les croira ivres (Ac 2, 13) et la première communauté prendra ses repas avec allégresse (Ac 2, 46)....
Qu'avons-nous fait aujourd'hui de la folle joie chrétienne ? Pourquoi nos assemblées sont-elles à ce point figées ? La liturgie nous affirme que Dieu nous parle et nous pardonne, que son Fils se donne à nous comme Pain de Vie, et nous demeurons amorphes. On nous dit : « Le Seigneur est avec vous »...et nous demeurons cois, silencieux, sans réaction.
Notre ancien lépreux « rend gloire à Dieu à pleine voix ... il se prosterne à terre devant Jésus en lui rendant grâce ». Bénéficiaire de la Puissance et de la Bonté de Dieu, il adore ce Jésus en qui il reconnaît sa présence. Chanter cette découverte lui apparaît plus essentiel que d'aller accomplir les rites de purification. Jésus passe avant le temple car il est la nouvelle Présence de Dieu, le Prêtre qui offre la guérison. On le voit : la démarche de l'homme est bien davantage qu'une simple « reconnaissance » au sens de gratitude, de remerciement d'un malade à son guérisseur mais une profession de foi, une « reconnaissance » de l'homme Jésus comme Seigneur.

Et c'est un « samaritain », « un étranger » ! Mais déjà, dans sa prédication inaugurale à la synagogue de Nazareth, Jésus n'avait-il pas rappelé que jadis, seul, Naaman, le général syrien, avait été guéri de sa lèpre (4, 27) ? Mais ici un saut immense est accompli : le 10ème homme n'est pas seulement « purifié » d'une maladie corporelle mais il est « sauvé ».
Parce qu'il s'est prosterné devant Jésus, celui-ci peut lui proclamer : « RELEVE-TOI (c'est le verbe qui sera employé pour la Résurrection !) : TA FOI T'A SAUVE » c.à.d. t'a introduit dans la guérison totale de ton être.
Jésus avait dit la même Bonne Nouvelle à la pécheresse au parfum (7, 50), à la femme souffrant d'hémorragies venue toucher son manteau (8, 48) et il le redira encore à l'aveugle de Jéricho (18, 42).
La guérison d'une maladie ou d'un handicap corporel est renvoyée aux efforts de la médecine : mais seule la foi en Jésus, homme et présence de Dieu, peut libérer le c½ur de la lèpre du péché et « re-susciter » le croyant.
Et pourquoi cet homme est-il « sauvé » ? Parce que Jésus, à sa place, s'est rendu, lui, à Jérusalem, il est allé se montrer aux grands prêtres et ceux-ci, au lieu de le reconnaître, l'ont rejeté et condamné. Sur la croix, pauvre loque sanglante et défigurée, Jésus était semblable à un lépreux, horrible à voir et excommunié. Mais, tel le Serviteur souffrant d'Isaïe, il s'offrait pour que tous les hommes abîmés par la lèpre du péché soient réintégrés dans l'Amour du Père.
C'est pourquoi, à chaque Eucharistie, nous aussi, nous supplions comme le lépreux : « Eleison ! - Aie pitié » et, comme lui, nous « rendons gloire à Dieu », nous « adorons le Serviteur crucifié reconnu comme notre Seigneur ». Nous ne sommes plus des étrangers ni des parias mais des Enfants de Dieu vivant dans la communion de l'Amour unique.
Serons-nous désormais des assemblées qui chantent leur jubilation et témoignent de leur Salut ?