L'ACHARNEMENT DANS LA PRIERE
Luc est l'évangéliste de la prière : d'une part, d'un bout à l'autre, du baptême à la mort en croix en passant par tous les moments importants, il souligne que Jésus prie, et d'autre part il rapporte les deux leçons que Jésus a données sur ce sujet à ses disciples. Après la première lue au 17ème dimanche (11, 1-13), nous écoutons, en ces deux dimanches, les 2 paraboles qui constituent la seconde leçon.
Jésus dit encore une parabole pour montrer à ses disciples qu'il faut toujours prier sans se décourager : « Il y avait dans une ville un juge qui ne respectait pas Dieu et se moquait des hommes. Dans cette même ville, il y avait une veuve qui venait lui demander : 'Rends-moi justice contre mon adversaire.' Longtemps il refusa ; puis il se dit : 'Je ne respecte pas Dieu, et je me moque des hommes, mais cette femme commence à m'ennuyer : je vais lui rendre justice pour qu'elle ne vienne plus sans cesse me casser la tête.' ». Le Seigneur ajouta : « Écoutez bien ce que dit ce juge sans justice ! Dieu ne fera-t-il pas justice à ses élus, qui crient vers lui jour et nuit ? Est-ce qu'il les fait attendre ? Je vous le déclare : sans tarder, il leur fera justice.
« Mais le Fils de l'homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ? »
D'emblée le but de l'histoire est donné aux disciples : qu'ils ne se lassent jamais, qu'ils continuent sans arrêt à supplier leur Dieu. Leur défaut ne réside pas, comme ils le pensent toujours, dans les distractions (un mot dont Jésus ne parle jamais, comme si cela n'avait pas d'importance) mais dans leur découragement. Nos prières sont trop brèves.
Une veuve a un différent avec un adversaire sans doute pour une question financière.
Sans mari ni grands enfants pour la soutenir, sans relations pour appuyer sa cause, c'est une femme du peuple, radicalement pauvre. Pour elle il s'agit d'un enjeu vital, à résoudre dès que possible.
Elle est persuadée que sa cause est juste : c'est elle qui est flouée. Justice doit lui être rendue.
Devant elle, le seul qui peut résoudre le litige, un juge sans foi ni amabilité. Sans doute est-il vénal : en retardant l'affaire, il attend sans doute que la plaignante lui offre un pot-de-vin.
Mais la femme n'a rien à donner. Donc sa seule force, c'est sa persévérance, son opiniâtreté. Elle ne se résout pas à la situation, elle n'abandonne pas la partie : sans relâche, elle se présente à la porte du juge, elle l'interpelle en rue, elle répète ses lamentations, elle revendique son droit.
Et un jour enfin, le juge va céder : non parce qu'il a touché un bakchich, non parce que son c½ur est touché, non parce qu'il a du remords et se décide à rendre justice, mais parce qu'il n'en peut plus. « Quelle casse-pied ! Quelle scie ! Quelle emm.... ! »
Et Jésus encourage ses disciples à qui il a toujours annoncé critiques, contestations et violences : si déjà un mauvais juge a cédé, a fortiori Dieu « fera justice à ses élus qui crient vers lui jour et nuit ».
Donc comprenons bien. Il ne s'agit pas d'un embarras léger, d'un petit problème que Dieu devrait régler à notre avantage. Tant que nous en avons les moyens, nous devons tout faire pour résoudre nos difficultés nous-mêmes.
En la comparant à cette pauvre veuve, Jésus parle d'une Eglise
- qui est injustement mise en procès, exploitée, vilipendée, attaquée
- qui souffre beaucoup et dont la vie est en jeu
- qui est radicalement pauvre, sans aucun moyen humain d'en sortir
- qui ne recourt à aucun moyen de violence
- qui n'a d'autre arme que ses cris, son acharnement, son espérance dans la réponse de son Dieu.
- qui est scandalisée par le silence interminable de Dieu. Pourquoi semble-t-il abandonner ses fidèles à la persécution ? Pourquoi sa lenteur à répondre ? Jésus ne donne pas de réponse : il nous exhorte instamment à ne pas arrêter de prier, supplier, crier, hurler.
Il sait que l'épreuve est terrible, que beaucoup, découragés, cesseront de demander l'aide de Dieu, auront recours à la violence, ou se détourneront de toute foi. D'où la triste réflexion finale :?
« Mais le Fils de l'homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ? »
Jésus a-t-il jamais laissé échapper pareille plainte sur le possible échec de sa mission ? Bientôt, lui-même, dans la nuit de l'agonie au mont des Oliviers comme sur la croix du Golgotha, il gémira : « Père, que ce calice s'éloigne loin de moi !...Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? ». Il n'échappera pas au gouffre de la mort, mais à l'autre bout, parce qu'il aura tout accepté (« Mon Père, je remets mon âme entre tes mains »), il jaillira super-Vivant non pour foudroyer les juges qui l'avaient condamné à mort mais pour permettre à son Eglise, elle aussi, de hurler sa douleur et de sangloter en s'arrachant les ongles sur les portes de la prière qui ne s'ouvrent pas.
Terminons en nous interrogeant sur « la Prière universelle », les « Intentions de prière ». Au centre de l'Eucharistie, entre la Liturgie de la Parole et celle du Pain, le concile Vatican II a réintroduit un grand moment de supplication. Après avoir dit notre foi dans les enseignements proclamés et avant de partager le pain de la charité, la liturgie nous ouvre aux dimensions universelles de l'Eglise, nous fait lancer le cri de notre espérance en faveur des chrétiens malheureux et notamment persécutés.
En Syrie, au Vietnam, en Egypte, au Soudan... : par dizaines de milliers, les chrétiens - nos FRERES et S¼URS - sont victimes de la haine, chassés de leur pays, battus, tués. Soyons sincères : quelle est alors la force de nos appels ? Avec quelle insistance intercédons-nous pour nos frères étranglés ? Suffit-il d'énoncer quelques belles phrases fignolées et de chantonner un refrain sans conviction ?
29e dimanche ordinaire, année C
- Auteur: Devillers Raphaël
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : C
- Année: 2012-2013