30e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

LA PRIÈRE : NU DEVANT DIEU

Dans sa dernière catéchèse sur la prière, Jésus, par deux paraboles, met en garde contre deux dangers : d'abord celui du découragement (« la veuve et le juge » - dimanche passé), ensuite, aujourd'hui, celui de l'orgueil pharisien. Luc intitule d'emblée l'histoire pour en donner le sens:
Jésus dit une parabole pour certains hommes qui étaient convaincus d'être justes et qui méprisaient tous les autres.

LA PRIERE DU PHARISIEN

« Deux hommes montèrent au Temple pour prier. L'un était pharisien, et l'autre, publicain.
Le pharisien se tenait là et priait en lui-même : 'Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes : voleurs, injustes, adultères, ou encore comme ce publicain.
Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne.'

Apparu vers le 2ème siècle avant Jésus, le mouvement pharisien était né de la volonté de sauvegarder la pureté de la foi juive. La fascinante civilisation grecque s'étendait partout et, pris par la contagion, bien des Juifs abandonnaient les pratiques des ancêtres ou en tout cas les suivaient avec négligence. C'est pourquoi devant ce relâchement qui leur apparaissait comme un péril très grave, des hommes pieux décidèrent, pour glorifier Dieu, d'observer avec minutie toutes les observances de la Loi et même d'en accroître les exigences : prières plus longues, jeûnes plus nombreux, ablutions multipliées... Pharisien ne signifie donc pas hypocrite (même s'il y avait des faux dévots dans leurs rangs) mais sans doute « séparé » car la rigueur de leurs pratiques les distinguait du commun de la population.
Quelle est la prière du pharisien mis en scène par Jésus ? Il vient rendre grâce à Dieu pour sa singularité : il a si bien résisté aux tentations qu'il a l'impression d'être au-dessus du lot. Autour de lui il ne voit que m½urs dissolues, débauche, escroquerie. Et même, sortant de son recueillement pour examiner ses voisins, jetant un coup d'½il dédaigneux sur cet homme là-bas qu'il connaît comme publicain donc pécheur grave, il se dit : « Moi, au moins, je ne suis pas comme cette racaille ». Et il fait mémoire des pratiques lourdes qu'il s'inflige : deux jeûnes par semaine (alors qu'une seule journée était imposée par an) et la dîme sur tout achat (alors que c'était le commerçant qui devait s'acquitter de cette redevance de 10 %). Le pharisien est un croyant très courageux, sa religion lui coûte beaucoup d'efforts et beaucoup d'argent : on ne rit pas avec la Loi. Et puisqu'il ne trouve rien à se reprocher, il rend grâce à son Dieu qui lui a donné la force de la fidélité et l'a rendu différent des autres. Il est un « juste », un homme tel que Dieu le demande, « en règle ».

LA PRIERE DU PUBLICAIN.

Le publicain, lui, se tenait à distance et n'osait même pas lever les yeux vers le ciel ; mais il se frappait la poitrine, en disant : 'Mon Dieu, prends pitié du pécheur que je suis'
On appelle « publicains » les hommes employés à percevoir les impôts : fréquemment sinon toujours, ils gonflaient les redevances et s'attribuaient des revenus confortables si bien qu'on les confondait avec les voleurs. Notre homme ici est l'un d'eux et, rongé par le remords, il se tient derrière,  tête basse, n'osant même pas jeter un coup d'½il sur la Demeure de Dieu, sentant peser sur lui les regards méprisants des gens qui l'ont reconnu et qui sans doute se demandent comment il a osé entrer dans le temple.
Que faire ? Il est peut-être marié, père de famille, il exerce cette profession depuis des années et en effet il a bafoué la sainte Loi de Dieu : il a falsifié les comptes, il s'est enrichi au détriment de ses frères et il est à présent dans l'impossibilité de les rembourser.  Il se voit comme dans une prison dont il ne peut sortir. Il ne cherche pas à se disculper ni à se trouver quand même quelque qualité qui contrebalancerait un peu son escroquerie. Se frappant la poitrine en signe de responsabilité personnelle et de pénitence, il ne peut que murmurer : « Je suis pécheur : Seigneur, prends pitié ».
LE JUGEMENT DE JESUS / DE DIEU

Si Jésus avait poursuivi en demandant : « Que pensez-vous de ces deux hommes ? », il est probable que son auditoire aurait admiré le pharisien comme un très bon fidèle sinon un saint et exigé que le publicain entreprenne un travail de conversion, restitue les produits de ses vols et accomplisse tous les sacrifices nécessaires pour obtenir la miséricorde de Dieu.
Or, à la stupeur générale, Jésus conclut par une déclaration scandaleuse, sans doute une des plus choquantes qu'il ait jamais prononcée :
Quand ce dernier rentra chez lui, c'est lui, je vous le déclare, qui était devenu juste, et non pas l'autre.
Jésus est formel. La prière du publicain a été acceptée par Dieu qui l'a « ré-ajusté à Lui » car son attitude l'a conformé à ce que Dieu attendait. Il mettait en pratique ce que disait le psaume :
« Aie pitié de moi, mon Dieu ; selon ta grande miséricorde, efface mes torts ; purifie-moi de mon péché...Tu n'aimerais pas que j'offre un sacrifice... Le sacrifice voulu par Dieu, c'est un esprit brisé...Oh Dieu, tu ne rejettes pas un c½ur brisé et broyé » (Ps 51)

Au contraire la prière du pharisien était doublement viciée : par son acharnement à multiplier les pratiques, il « faisait sa statue », il voulait se réaliser par ses propres forces, fier de ce qu'il faisait « pour Dieu ». Et en outre il se comparait aux autres, se jugeait supérieur aux pécheurs.

Et Jésus répète une sentence qui visait déjà ceux qui cherchaient à occuper les premières places aux banquets (14, 11) :
Qui s'élève sera abaissé ; qui s'abaisse sera élevé.

Les verbes à la voix passive permettent de respecter la grandeur de Dieu en évitant de prononcer son Nom : donc la phrase signifie : « Dieu abaissera celui qui s'élève et il élèvera celui qui s'abaisse ». Sans cesse revient dans l'évangile cette prophétie du renversement des situations  que proclamait le message central des Béatitudes : « Heureux vous qui avez faim maintenant, vous serez rassasiés...Malheureux vous qui êtes repus maintenant : vous aurez faim » (6, 20-26) - ce qu'illustrait la parabole du riche et de Lazare (16, 19).
Et d'ailleurs tout de suite après notre texte,  Jésus reprendra ses apôtres si souvent préoccupés de leur grandeur et qui voulaient renvoyer les mères présentant leurs petits : « Laissez venir les enfants car le Royaume des cieux est à ceux qui sont comme eux » (18, 15-17).
Remarquons que la prière du pharisien est l'exact contraire de la prière de Marie : celle-ci aussi rend grâce mais elle se réjouit de ce « que Dieu fait pour elle » : « parce que Dieu s'est penché sur son humble servante...parce qu'il a fait pour moi des merveilles... ». Et elle chante l'éternel mode d'action de Dieu dans l'histoire : «  Il disperse les orgueilleux...Il élève les humbles... » (1, 46-55)

D'un côté, l'obéissance à Dieu doit être recherchée mais elle ne peut jamais nous rendre fiers de nos exploits et nous enorgueillir en jugeant les autres car nous restons des « serviteurs quelconques » (17, 10). De l'autre côté, le péché doit être reconnu, regretté, pleuré sans jamais nous faire tomber dans le désespoir. L'humilité constitue l'attitude de base du croyant.