28ème dimanche, année A

Auteur: Raphaël Devillers
Date de rédaction: 12/10/14
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2013-2014

HEUREUX LES INVITÉS AU FESTIN DES NOCES DE L’AGNEAU
(Apocalypse 19, 9)

A l’approche de la Pâque, sur l’esplanade du temple de Jérusalem traversée par les foules qui viennent offrir des sacrifices à Dieu et chanter ses louanges, Jésus parle, explique, enseigne : car le culte doit être précédé et rectifié par l’écoute de la Parole. Lui seul sait qu’il va être, dans quelques jours, l’Agneau immolé sur la croix pour libérer les hommes et, par des paraboles, il met en scène l’histoire qu’il est train de vivre : après celle de la vigne de dimanche passé, voici celle du banquet.

Jésus disait en paraboles :
« Le royaume des Cieux est comparable à un roi qui célébra les noces de son fils.
Il envoya ses serviteurs appeler à la noce les invités, mais ceux-ci ne voulaient pas venir.
Il envoya encore d’autres serviteurs dire aux invités : “Voilà : j’ai préparé mon banquet, mes bœufs et mes bêtes grasses sont égorgés ; tout est prêt : venez à la noce.”
Mais ils n’en tinrent aucun compte et s’en allèrent, l’un à son champ, l’autre à son commerce ; les autres empoignèrent les serviteurs, les maltraitèrent et les tuèrent.
Le roi se mit en colère, il envoya ses troupes, fit périr les meurtriers et incendia leur ville.

L’ALLIANCE COMME UN MARIAGE

A l’encontre de toutes les nations environnantes qui adoraient des dieux représentés par des statues, le petit peuple d’Israël confessait non seulement qu’il n’y a qu’un Dieu, irreprésentable, mais que ce Dieu, YHWH (IL EST), avait conclu avec lui une Alliance. Non un traité imposé par un suzerain qui enferme son vassal dans un réseau d’obligations. Mais une alliance telle que la nouent entre eux les époux.
Oui YHWH aimait Israël comme un époux son épouse. Il l’avait libérée de l’esclavage, lui avait proposé dix Paroles de liberté, lui avait offert une terre où coulent le lait et le miel, bref l’avait comblée de dons…et pourtant Israël ne cessait d’être infidèle. Certes on avait édifié un temple superbe, on y célébrait des liturgies régulières, on apprenait  et récitait la Loi de Dieu mais on ne pouvait s’empêcher de se tourner vers les idoles païennes et on ne mettait pas en pratique les préceptes de son Dieu.

Sans se lasser, pendant des siècles, Dieu avait envoyé ses serviteurs les prophètes pour rappeler à Israël sa dignité insigne, le replacer devant ses engagements, dénoncer ses crimes, dévoiler l’hypocrisie de son culte et le supplier de ne pas tromper son Dieu. « Prostituée ! Adultère ! » hurlaient Osée, Jérémie, Ezéchiel à une société rongée par l’injustice et qui bafouait ainsi l’Alliance d’amour de son Dieu. Mais beaucoup avaient autre chose à faire que d’écouter ces gêneurs (« Mon champ, mes affaires… ») et ces messagers étaient moqués, injuriés, battus, parfois mis à mort.

Alors survint l’événement le plus extraordinaire : Dieu envoya son Fils en qui humanité et divinité s’unissaient. Ni amour dévorant, ni passion captatrice, ni absorption de l’une par l’autre. Ni un Dieu camouflé en homme ni un homme manipulé par un Dieu. C’est pourquoi Jésus pouvait sans mensonge ni exagération s’appeler l’Epoux qui venait offrir sa miséricorde à son peuple pécheur.
En effet, lorsque des Pharisiens dévots l’avaient surpris en train de banqueter joyeusement chez Matthieu, un pécheur notoire qu’il venait d’embaucher comme disciple, et qu’ils lui avaient reproché de dispenser ses disciples d’un jeûne officiel, il leur avait répondu : « Les invités à la noce peuvent-ils être en deuil tant que l’Epoux est avec eux ? » (9, 15).
Pour lui en effet, le repas avec des pécheurs repentis, des hommes qui se détournaient du mal pour vivre l’Evangile avec lui, n’était pas une fête de copains mais réellement un banquet de noces où l’on s’enivrait doucement de la joie du Pardon de Dieu.
Mais comment accepter cette prétention suffocante, intolérable ? Blasphème évident pour les pharisiens et hommes de loi qui enfermaient la religion dans un carcan de pratiques superficielles, dans des observances méticuleuses et qui célébraient un culte rutilant tout en en refusant l’accès aux pécheurs, aux malades, aux païens. Aussi, bouillonnant de rage devant ce Galiléen qui leur semblait torpiller loi et liturgie, ils décidaient de le supprimer.

L’EUCHARISTIE BANQUET DES NOCES DE L’AGNEAU

Mais, au dernier soir, partageant son ultime repas avec ses apôtres, croyants et pécheurs, il scella son union conjugale avec eux par le Vin de la Nouvelle Alliance : « Prenez et mangez…Prenez et buvez… » (26, 26). L’Agneau signifiait qu’il donnait sa vie pour cette Epouse infidèle, ces hommes qui lâchement allaient l’abandonner.
Le banquet des Noces de l’Agneau commençait à être célébré et il allait se répandre dans le monde entier : « Allez donc, dit-il à ses disciples : de toutes les nations faites des disciples, les plongeant dans la Vie du Père, du Fils et de l’Esprit…Je suis avec vous jusqu’à la fin des temps » (28, 19).

Alors le Roi dit à ses serviteurs : “Le repas de noce est prêt, mais les invités n’en étaient pas dignes. Allez donc aux croisées des chemins : tous ceux que vous trouverez, invitez-les à la noce.”
Les serviteurs allèrent sur les chemins, rassemblèrent tous ceux qu’ils trouvèrent, les mauvais comme les bons, et la salle de noce fut remplie de convives.
Tout de suite, les disciples juifs de Jérusalem s’élancèrent dans les pays voisins et la messe fut célébrée à Athènes et à Alexandrie avant de l’être à Paris, à New-York et à Kinshasa.
Car l’Eucharistie n’est pas, comme on le voit souvent, le lieu d’une assemblée confite en dévotions et engoncée dans une piété pincée mais la communauté « des pauvres types » qui se savent pécheurs et qui ont entendu l’appel les invitant au Noces de l’Agneau.

MAIS ATTENTION !

Dans des paraboles précédentes, Jésus avait prévenu ses apôtres que leurs assemblées seraient mêlées, comme un champ avec du blé et de l’ivraie, comme un bateau avec de bons et de mauvais poissons (13, 24 ; 13, 47), qu’il ne fallait pas procéder trop vite au tri mais qu’un jour, évidemment, Dieu surviendrait. La fin de la parabole le répète :

Le roi entra pour examiner les convives, et là il vit un homme qui ne portait pas le vêtement de noce.
Il lui dit : “Mon ami, comment es-tu entré ici, sans avoir le vêtement de noce ?” L’autre garda le silence.
Alors le roi dit aux serviteurs : “Jetez-le, pieds et poings liés, dans les ténèbres du dehors ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents.” Car beaucoup sont appelés, mais peu sont élus. »
Le vêtement est le symbole de la conduite. S’il sait que le banquet n’est pas une récompense de ses mérites, l’invité doit évidemment tirer les conséquences pratiques de sa participation : qu’il se rappelle le sort des autorités qui jadis furent rejetées, qu’il change de comportement, qu’il ne se contente pas d’une pratique superficielle. L’Eglise ne remplace pas Israël. Dieu attend des fruits c.à.d. des communautés qui vivent selon le droit et la justice, des liturgies où la Parole enseigne les engagements à prendre et où le partage du Pain envoie les convives pour construire la solidarité mondiale. Le communiant est appelé à s’embraser du feu de l’amour de l’Agneau pour ne pas chuter dans le feu du rejet et du regret.

La dernière phrase, si elle semble pessimiste et désabusée, n’annonce pas une condamnation quasi générale : elle veut nous dire que la messe, le banquet de l’Agneau, peut se fêter avec « peu » alors que « beaucoup » s’en détournent. Par leur allégresse, leur humilité et leur amour réciproque, les quelques-uns peuvent donner aux autres l’envie de les rejoindre. Saurons-nous accueillir les « revenants » en leur manifestant la joie de les retrouver ?