29e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2007-2008

Alors que la fête de la Pâque approche, la foule se presse sur la grande esplanade du temple de Jérusalem pour écouter Jésus arrivé récemment de Galilée. Serait-il le Messie qui, dit-on, doit survenir justement lors de cette fête de la libération ? Va-t-il déclencher la révolution ?...Mais les autorités religieuses - grands prêtres, anciens et scribes - sont de plus en plus excédées par cet homme qu'elles tiennent pour un imposteur et elles cherchent à le discréditer en le harcelant de questions insidieuses. C'est ainsi que Matthieu, après Marc, rapporte cinq controverses : à la première concernant son audace de parole, Jésus a répondu par les trois paraboles assez dures que nous avons entendues les dimanches précédents. Aujourd'hui voici la 2ème dispute qui concerne un sujet brûlant, très débattu à l'époque. En cette année (30 de notre ère), il y a déjà plus de 90 ans que les Romains occupent le pays. Ces païens idolâtres règnent d'une main de fer sur la terre sainte, répriment dans le sang toute tentative d'insurrection et exigent de lourds impôts qui pèsent de façon intolérable sur la population.

Le peuple de Dieu doit-il acquitter ce tribut qui semble reconnaître son allégeance à l'endroit de ces païens honnis ? Les zélotes, partisans de la résistance armée, mènent campagne pour qu'on refuse cette contribution ; au contraire, les grands prêtres et leur parti sadducéen, par crainte de la répression sanglante, ont opté pour la soumission et l'obéissance forcée. Ce sujet reste évidemment à la une de l'actualité et les opinions sont déchirées. Et si on allait demander son avis à ce Jésus ?...

Les pharisiens se concertèrent pour voir comment prendre en faute Jésus en le faisant parler. Ils lui envoient leurs disciples, accompagnés des partisans d'Hérode : " Maître, lui disent-ils, nous le savons : tu es toujours vrai et tu enseignes le vrai chemin de Dieu ; tu ne te laisses influencer par personne car tu ne fais pas de différences entre les gens. Donne-nous ton avis : Est-il permis, oui ou non, de payer l'impôt à l'empereur ?"

L'abord flagorneur qui semble honorer Jésus en soulignant sa droiture et son obéissance parfaite à la loi de Dieu cache une ruse : on le somme, devant les gens, de ne pas chercher de faux fuyant, de correspondre à sa réputation d'homme qui dit franchement la vérité quoi qu'il en coûte. Le dilemme l'enferme dans un piège. S'il répond "Il faut payer", ce sera la preuve qu'il n'est pas un vrai prophète puisqu'il accepte l'occupation païenne et le déshonneur de la nation : en ce cas on pourra persuader la foule de le rejeter. S'il dit "Ne pas payer", on le dénoncera aux Romains comme révolutionnaire dangereux, à supprimer d'urgence.

Jésus, connaissant leur perversité, riposta : " Hypocrites ! pourquoi voulez-vous me mettre dans l'embarras ? Montrez-moi la monnaie de l'impôt". Ils lui présentèrent une pièce d'argent ( un denier)
-   Cette effigie et cette légende, de qui sont-elles ?
-   De l'empereur César, répondirent-ils.
-   Eh bien, rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu"

Cette réponse de Jésus est sans nul doute une de ses réparties les plus célèbres au point d'être devenue une expression proverbiale. Ce qui ne veut pas dire qu'elle est facile à comprendre ni moins encore à appliquer car elle pointe des problèmes permanents : la situation du chrétien en tant que citoyen et le rapport de l'Eglise et de l'Etat.

RENDRE A CESAR CE QUI EST A CESAR

Le denier représentait le buste de l'empereur avec l'inscription " Tibère César, fils du divin Auguste, Auguste" : prétention divine blasphématoire pour les Juifs ! Mais Jésus reconnaît - sans l'approuver bien sûr- la souveraineté romaine : le Prince qui frappe monnaie a autorité sur le pays. Donc Jésus ne veut pas être un Messie politique. Les croyants demeurent des citoyens tenus à remplir tous leurs devoirs : nous devons observer les lois et donc payer nos contributions. Sous l'empereur Néron, Saint Paul écrira aux chrétiens de Rome d'acquitter leur tribut : " Que tout homme soit soumis aux autorités qui exercent le pouvoir...c'est la raison pour laquelle vous payez les impôts" ( Romains 13, 1-7). Car Paul se rend compte que si les petites communautés chrétiennes se rebellent, elles seront impitoyablement exterminées. Israël en fera la terrible expérience quelques années plus tard : l'insurrection conduira au carnage, à la destruction de Jérusalem et à la fin du temple.

RENDRE A DIEU CE QUI EST A DIEU

S'il faut rendre à l'Empereur l'impôt (la pièce frappée à son effigie), il faut plus encore rendre à Dieu ce qui porte son image. Or qu'est-ce qui porte l'image de Dieu ? Ainsi que le déclare le premier récit de la création : l'être humain ! Tout être humain, quels que soient sa couleur de peau, son état de santé, son âge, sa condition, porte l'empreinte divine et est donc revêtu d'une dignité inaliénable. L'Etat ne dispose donc pas d'un pouvoir inconditionnel, il ne peut empêcher l'humain de "se rendre à Dieu", il ne peut imposer l'athéisme en combattant la religion vue comme une superstition néfaste, ni imposer des lois qui brident la liberté et bafouent la dignité humaine.

Par ailleurs la foi religieuse ne se réduit pas à une opinion privée et à la pratique de certains rites pieux : la religion ne peut être enclose dans les sacristies et l'Eglise conserve un droit de parole. En effet l'Evangile est tout sauf conformiste, il doit rester une instance critique, une force contestatrice qui exige un état de droit et dénonce, s'il le faut, les injustices et l'idolâtrie. Lorsque Rome, pour unifier les divers peuples de son immense territoire, voudra imposer non seulement l'obéissance mais le culte de l'Empereur, les chrétiens (pas tous !) refuseront de plier les genoux devant sa statue, proclamant que le seul et unique SEIGNEUR est JESUS LE CHRIST et acceptant du coup le martyre ( cf. la fameuse Lettre de Pline le Jeune en 112) .

L'Eglise devra également prendre garde lorsque l'Etat aura la tentation de la flatter, de lui accorder des subsides ou des privilèges afin d'acheter son silence. Elle n'a pas vocation à prêcher la résignation ni à avaliser tout ce que dit le pouvoir. Nos Eglises d'occident ont-elles, ces dernières décennies, dénoncé suffisamment le gaspillage des ressources, l'injustice mondiale, le primat de l'argent fou ?...

On le voit : ces problèmes sont extrêmement délicats, impossibles à résoudre en quelques minutes. Je terminerai par une citation du pape Benoît XVI lors de sa récente visite à Paris :

« "...De nombreuses personnes en France se sont arrêtées pour réfléchir sur les rapports de l'Église et de l'État. Sur le problème des relations entre la sphère politique et la sphère religieuse, le Christ même avait déjà offert le principe d'une juste solution lorsqu'il répondit à une question qu'on Lui posait : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mc 12,17).

L'Église en France jouit actuellement d'un régime de liberté. La méfiance du passé s'est transformée peu à peu en un dialogue serein et positif, qui se consolide toujours plus. Un nouvel instrument de dialogue existe depuis 2002 et j'ai grande confiance en son travail, car la bonne volonté est réciproque. Nous savons que restent encore ouverts certains terrains de dialogue qu'il nous faudra parcourir et assainir peu à peu avec détermination et patience. Vous avez d'ailleurs utilisé, Monsieur le Président, la belle expression de « laïcité positive » pour qualifier cette compréhension plus ouverte. En ce moment historique où les cultures s'entrecroisent de plus en plus, je suis profondément convaincu qu'une nouvelle réflexion sur le vrai sens et sur l'importance de la laïcité est devenue nécessaire. Il est en effet fondamental, d'une part, d'insister sur la distinction entre le politique et le religieux, afin de garantir aussi bien la liberté religieuse des citoyens que la responsabilité de l'État envers eux, et d'autre part, de prendre une conscience plus claire de la fonction irremplaçable de la religion pour la formation des consciences et de la contribution qu'elle peut apporter, avec d'autres instances, à la création d'un consensus éthique fondamental dans la société..... C'est à l'Etat qu'il revient d'éradiquer les injustices............." » ( Cérémonie de bienvenue - Palais de l'Elysée -vendredi 12 09 08 - cf. site du Vatican)