2e dimanche de Carême, année A

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : A
Année: 2007-2008

Carnavals : pauvres et dérisoires essais de montrer que l'on "s'amuse bien" ; masques qui cachent et défigurent les visages ; tressaillements ridicules sur des airs vulgaires ; et ces ivresses qui ne font rire que ceux dont l'enfant n'a pas été écrasé par un chauffard alcoolique. Ah oui ! ce désir profond en nous : changer de "look" comme on dit, resplendir de beauté, acquérir une nouvelle personnalité, former un vrai peuple qui fraternise dans l'allégresse en vérité ! Il y faut bien autre chose que des pluies de confettis, des lancers d'oranges et des fanfares !

Avoir un nouveau visage, devenir vraiment ce que l'on n'a pas réussi à être, guérir de ses laideurs, être clair avec soi, se revêtir de gloire : est-il possible d'être un être rayonnant ? Jésus l'a été, un soir, sur la montagne. Et nul empereur, nul savant, nul artiste n'eut et n'aura jamais bénéficié de telle aura.

Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère et il les emmène à l'écart, sur une haute montagne. Il fut TRANSFIGURE devant eux : son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière. Leur apparurent Moïse et Elie qui s'entretenaient avec lui. Pierre dit : " Seigneur, il est heureux que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser trois tentes : une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie" Il parlait encore lorsqu'une NUEE LUMINEUSE les couvrit de son ombre ; et de la NUEE, une voix dit : "CELUI - CI EST MON FILS BIEN AIME EN QUI J' AI MIS TOUT MON AMOUR : ECOUTEZ - LE".

Ce rayonnement ne s'acquiert pas, il n'est pas le résultat d'efforts de maîtrise de soi ni d'une montée mystique - ni encore moins, évidemment, l'effet de maquillages et de cosmétiques. C'est l'éclat de l'être de Jésus, l'épiphanie de son mystère, l'apparition de la Lumière du Verbe de Dieu, de la Vérité QU ' IL EST !

Cette trans-figuration n'advient pas devant la foule, ni même devant l'ensemble des disciples : seuls trois d'entre eux sont admis au seuil du mystère. On ne peut exiger cette faveur. Elle n'est pas permanente : pur moment de grâce qui rend tellement heureux que l'on voudrait qu'il se prolonge ("Faisons trois tentes"...).

Mais pourquoi arrive-t-elle à cet endroit, à ce moment ? La question est capitale et seul l'Evangile en donne la clef - que malheureusement la lecture liturgique a omis. Il faut aller voir le texte pour lire l'introduction de l'événement :

""Après 6 jours, Jésus prend avec lui Pierre, ...". Un des rarissimes endroits où l'on note l'intervalle entre deux faits de la vie de Jésus : Six jours après quoi ???". Nous sommes à Césarée de Philippe, près des sources du Jourdain et l'évangéliste Matthieu raconte : " A partir de ce moment, Jésus commença à montrer à ses disciples qu'il lui fallait s'en aller à Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être mis à mort et, le 3ème jour, ressusciter".

Evidemment, devant cette affirmation scandaleuse, Pierre se dresse : " Ah non ! Dieu t'en préserve ! Cela ne t'arrivera pas !". Mais Jésus sèchement écarte son apôtre : " Derrière moi, satan ! ". Et loin d'adoucir l'âpreté de ses propos, il étend le tragique de sa destinée à ceux qui veulent le suivre : "Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il renonce à lui-même et prenne sa croix et qu'il me suive...".

Voilà donc pourquoi Dieu, à ce moment -ci, offre à son Fils cet éclair de bonheur : c'est parce que Jésus vient d'accepter d'entrer dans l'ultime étape de sa vie : en obéissant à son Père, aller plus loin encore sur le chemin de l'amour. Après le temps des beaux discours et des guérisons spectaculaires, voici venu le temps d'affronter ses ennemis et, pour l'honneur de son Père, d'offrir sa vie pour pardonner à l'humanité endurcie dans la nuit du mal. Le Père qui naguère avait offert sa vocation à Jésus lors de son baptême, aujourd'hui reprend les mêmes paroles à l'intention, cette fois, des disciples :

"CELUI- CI EST MON FILS BIEN AIME...ECOUTEZ - LE".

Et la VOIX remplace la LUMIERE, l' ECOUTE remplace la VISION, le charme de l'EXTASE débouche dans l 'OBÉISSANCE pénible. Ecoutez ce message stupéfiant, inacceptable : le Messie ne vous entraîne pas au triomphe à Jérusalem, il va à la rencontre de ses pires adversaires. Echouant à les convertir, il va au contraire attiser leur haine : unanimes ils se dresseront contre lui pour le supprimer.

Au Jardin des Oliviers, devant l'échéance de la croix, Jésus sera DEFIGURE par l'épouvante. Etreint par l'angoisse, il sera "pressé" - Gethsémani signifie "lieu du pressoir" - mais ainsi il pourra, au nom de Dieu, offrir la Douceur de l'Esprit, la Mansuétude de la Miséricorde.

Parce que, à Césarée, il accepte d'entrer sur ce chemin, ce jour, sur la montagne, la Vérité qu'il accepte de vivre TRANSFIGURE sa face.

Il est comme le Buisson ardent où Moise jadis avait entrevu la Présence d'un Dieu qui lui révélait son dessein : " J'ai vu le malheur de mon peuple : fais-le sortir d'Egypte". Aujourd'hui Jésus, irradié par la Lumière divine, monte à Jérusalem pour accomplir sa mission : libérer les hommes prisonniers du péché, leur rendre leurs visages d'enfants de Dieu

Il n'est pas l'heure de dresser des tentes, de vouloir arrêter le temps pour se fixer dans une extase égoïste. Il faut retrouver l'homme Jésus ordinaire et se décider à le suivre. Au bout de la route, il n'y aura pas la victoire facile sur le mal mais la pâque, le passage - terrifiant mais nécessaire - à travers la mort pour déboucher dans la lumière de la Transfiguration définitive. Alors nous ne serons plus des hommes qui font "de la figuration" dans le carnaval de la terre- mais une humanité à tout jamais transfigurée, glorieuse, rayonnante de la Vérité que Dieu lui aura donnée pour toujours à travers son Fils. La 2ème étape de carême nous offre sur le Visage de Jésus un reflet de cette Gloire qui nous attend si, aujourd'hui, nous acceptons d'"écouter" le Fils et de le suivre sur la route. Car il est la LUMIERE DU MONDE.