Êtes-vous en règle avec votre déclaration fiscale ? De quoi je me mêle, me direz-vous ! Mais je ne vous parle pas des impôts à payer à l'Etat, à la Région ou à la commune, mais de l'impôt à payer à Dieu ! Rendre à Dieu une déclaration fiscale une fois l'an. Idée saugrenue me rétorquerez-vous. Faut-il rendre des comptes à Dieu ?
Et pourtant, vous le savez bien, les hommes et les institutions religieuses, qui aiment se substituer à Dieu, ont souvent exigé en son nom des comptes et un impôt. Par exemple, l'obligation de se confesser une fois l'an à Pâques. N'est-ce pas une forme de déclaration fiscale où on comptabilise son actif, mais surtout son passif, avec à la clé une petite réparation à prester pour être quitte de Dieu. Cette présentation est peut-être caricaturale, mais c'est bien souvent dans cet esprit que les fidèles se sont approchés du sacrement du pardon et de la miséricorde gratuite de Dieu. Encore un autre exemple : l'obligation de la pratique dominicale que le pape Benoît XVI a rappelé longuement aux centaines de milliers de jeunes présents à Cologne pour les JMJ. Là, il ne s'agit pas de rendre des comptes annuels, mais hebdomadaires.
Rendre des comptes à Dieu, lui payer l'impôt de notre pratique, de notre service, n'est-ce pas ce que Jésus entend souligner quand il répond aux pharisiens : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ». Chacun de nous aurait des devoirs à rendre à l'Etat comme citoyen et à Dieu comme croyant. Mais est-ce bien ainsi qu'il faut lire ce passage si célèbre de l'évangile ?
Reprenons l'intrigue du récit : des pharisiens posent une question à Jésus, mais dans l'intention de lui nuire, de l'enfermer dans un piège : soit il encourage la soumission à l'occupant romain, et se pose ainsi en traître de la souveraineté de son peuple, soit il encourage l'insoumission et se pose dès lors en opposition au pouvoir en place. Comme souvent dans l'évangile, Jésus refuse d'être pris au piège dans une alternative qui ne laisse aucune porte de sortie. Alors, il déplace la question, il la renvoie à ses interlocuteurs. Car la question qui est d'abord politique, devient dans la bouche de Jésus, théologique ; elle renvoie à l'image de Dieu que nous véhiculons.
« Montrez-moi la monnaie de l'impôt. Cette effigie et cette légende, de qui sont-elles ? - De l'empereur César », répondent les pharisiens. La pièce de monnaie renvoie à une image, celle de l'empereur romain tout-puissant, qui exerce sa souveraineté en maître absolu, ayant le droit de vie ou de mort sur tous les peuples qu'il tient en son pouvoir. Et cette puissance, d'où vient-elle ? De la violence qui pousse l'empereur à envoyer ses légions de part le monde connu à l'époque afin d'étendre l'empire. Pire, l'empereur lui-même s'arroge une identité quasi divine, se faisant l'égal d'un dieu. Mais ce dieu que prétend être l'empereur, est-il à l'image du Dieu de Jésus Christ ? A qui renvoie l'image de Dieu ? Qui est à l'image de Dieu ? L'homme et la femme bien sûr ! Nous le savons depuis le livre de la Genèse quand Dieu fait l'homme et la femme à son image et à sa ressemblance. L'image de Dieu, c'est l'humain, c'est le visage par excellence de son Fils, Jésus. Mais cette image de Dieu dans l'humain n'est pas neutre : elle n'est pas l'expression de la domination exercée par la violence ; elle n'est pas l'image de l'empereur César. Elle est à l'opposé l'image de Jésus et de tout homme qui vit dans ses relations le respect, l'amour, la tendresse, le pardon. Cet homme et cette femme ont le visage de Jésus et la légende de leur vie est celle des Béatitudes : ils sont pauvres et purs de c½ur, ils sont faiseurs de paix, passionnés de justice et ne rendent pas le mal pour le mal. Ils sont hommes et femmes de louange et de bénédiction.
Nous comprenons enfin ce que Jésus veut apprendre aux pharisiens et à nous aujourd'hui : il n'existe pas deux pouvoirs côte à côte auxquels il faut rendre des comptes. Car Dieu n'est pas comparable aux puissants de ce monde. Il n'a aucun pouvoir, hormis celui qui consiste à déposer sa propre vie pour ses amis. Dieu n'exerce aucun pouvoir à la manière des tyrans et des dictateurs de ce monde. Il n'exige aucun impôt, mais il désire que l'humain soit réellement à son image. Il ne veut que notre accomplissement comme humains.
Ainsi, rendre à Dieu ce qui est à Dieu signifie nous rendre chaque jour davantage humains, à la manière de Jésus pour créer un monde où ne s'exercera plus jamais le droit du plus fort. Que faut-il rendre alors à César : sûrement pas ce qui lui appartient, c'est-à-dire la violence et le pouvoir, mais il faut rendre à la politique son image : le service de la fraternité entre les hommes et les femmes.