Dans la vie, il y a une chose dont j'ai vraiment horreur et je ne puis pourtant m'en passer car cela m'est drôlement nécessaire, c'est de conduire. Je n'ai vraiment aucun plaisir à me trouver derrière un volant. Je suis en fait né pour me laisser conduire. Alors parfois je me mets à rêver d'avoir à ma disposition un chauffeur qui me conduirait là où je dois aller. Cette perspective n'est hélas pas à l'ordre du jour, elle est même carrément utopique. Alors, permettez-moi de faire une petite annonce en ce début de sermon : si quelqu'un parmi vous, ayant du temps libre, souhaiterait bénévolement occuper une telle position, je me tiens, bien évidemment à sa disposition à la sortie de cette célébration. Il me rendrait effectivement un immense service.
L'évangile de ce jour ne tombe pas mieux pour envoyer un tel message à cette assemblée puisqu'il nous convie à revisiter cet état d'esprit qu'est le service. " Le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir ". Morale de l'histoire, ce n'est plus à vous de devenir mon chauffeur mais à moi d'être le vôtre si je comprends correctement la phrase du Christ.
Nous sommes, toutes et tous, dans la foi, appelés à devenir les serviteurs les uns des autres. Et ce n'est pas toujours facile car lorsque je me mets à servir, je peux avoir le sentiment de perdre une partie de moi c'est-à-dire de ma fierté, de l'idée que je me fais de mon être en me mettant à la disposition d'autres. J'accepte de ne pas être vu comme " un grand de ce monde ".
Et voilà que l'évangile nous fait découvrir que nous n'avons absolument rien compris à la grandeur de l'être humain envisagée dans une perspective divine. Pour notre société, les gens biens, importants, sont souvent ceux qui ont une certaine aura, un pouvoir, une autorité comme si leur grandeur était liée à leur puissance ou à la reconnaissance des autres. Cette grandeur est en fait bien petite aux yeux de Dieu. Car pour lui, la grandeur de l'être se mesure dans sa capacité de servir. Un peu comme si la maxime de la foi devenait " ma vie est service ", toutefois, sans pour autant nier que très souvent, lorsque je me mets à servir, cela me fait du bien, cela donne sens à mon existence car au fond de moi, je dois bien admettre que j'en ai tout simplement besoin.
Le Christ nous invite ainsi à devenir serviteurs, à servir tout ce qui arrive c'est-à-dire les gens comme les situations, cependant sans jamais prétendre être le maître. En effet, en servant, nous ne sommes qu'un intermédiaire entre la personne que nous servons et Dieu, le " Très-Tout " comme dirait Christian Bobin. Nous sommes donc nés pour servir et si nous nous inscrivons dans l'histoire de l'humanité, chacun de nous est un " très peu " tout en restant grand à ses yeux ainsi qu'à ceux de Dieu. Mais tout " très peu " que nous soyons, nous avons une tâche essentielle à accomplir : servir. Dans cette perspective être quelqu'un " très peu " n'est pas être une personne qui s'écrase et se diminue face à la grandeur de Dieu.
Absolument pas, se reconnaître " très peu ", c'est accepter d'être un maillon infime dans la chaîne de l'humanité mais un maillon qui a un rôle essentiel à jouer lors de son pèlerinage terrestre. En étant " très peu ", j'accepte les tâches de service qui me sont confiées à mon niveau. Je ne veux pas occuper une meilleure place en croyant que je pourrais être le "Très tout " : d'ailleurs cette place n'est pas notre affaire : Dieu est un souci pour Dieu, pas pour nous. Nous, en tant que " très peu ", nous avons déjà assez de services à donner comme ça avec chaque jour qui naît, qui meurt et recommence. Etre serviteur les uns des autres est la tâche la plus noble qui soit sur cette terre.
Et dans la vie, nous sommes très souvent servis et parfois sans nous en rendre compte. En effet, combien de fois, par exemple, portons-nous dans nos prières les personnes qui discrètement nettoient nos églises chaque semaine pour que nous nous y sentions bien ? Reconnaissons-nous la valeur de celles et ceux qui nous servent partout où nous allons : magasins, restaurant, administrations ? A qui accordons-nous du pouvoir : aux grands de ce monde selon Jacques, Jean et les disciples qui veulent occuper une place importante ou bien aux grands selon Jésus c'est-à-dire celles et ceux qui portent le nom de serviteurs ou de servantes ? Voulons-nous le pouvoir et la reconnaissance ou nous sentir plus proche de Dieu ?
Dieu n'est pas toujours là où nous l'attendons mais ce qui semble de plus en plus clair c'est qu'il se révèle à nous aujourd'hui au c½ur de notre monde dans les visages de tous ceux et celles qui nous servent.
Puissions-nous ne plus jamais l'oublier et devenir à notre tour visage de Dieu par notre disponibilité aux autres.
Amen.