Chaque évangéliste a souligné les points qui lui paraissaient les plus importants dans l'enseignement du Christ. Ainsi S. Luc, nous l'avons vu, nous a alertés, à plusieurs reprises, sur le danger de la cupidité et de l'attachement à l'argent. Il est en outre celui qui a le mieux mis en évidence la valeur capitale de la PRIERE.
D'abord, tout au long de son récit, il a noté que Jésus, surtout aux moments des grandes décisions, priait beaucoup avec insistance ; ensuite il a transmis à ses disciples la plus magnifique des prières : le NOTRE PERE ; puis il leur a promis que leurs demandes seraient exaucées ( A celui qui frappe on ouvrira ; qui cherche trouve...") ; enfin il les a exhortés à prolonger leurs appels, à insister, à ne pas s'arrêter trop vite ( parabole des trois amis : Luc 11).
Ce dernier enseignement revient aujourd'hui dans une autre parabole (les trois ennemis) dont saint Luc a noté d'emblée l'intention :
Jésus dit une parabole pour montrer à ses disciples qu'il faut toujours prier sans se décourager.
En effet, juste avant, Jésus leur a parlé de sa venue en tant que "Fils de l'Homme" qui reviendra un jour dans la gloire, de façon tout à fait soudaine, pour juger l'humanité. Or tout au long de cette attente interminable, les disciples, en butte aux incompréhensions, aux critiques et aux violences, seront tentés de baisser les bras, de ne plus prier, de ne plus croire à l'efficacité de leurs demandes. La parabole veut les guérir de cette tentation :
Il y avait dans la ville un juge qui ne respectait pas Dieu et qui se moquait des hommes. Dans cette même ville, il y avait une veuve qui venait lui demander : " Rends-moi justice contre mon adversaire".
Les situations sont bien tranchées : un homme qui détient la puissance et une femme, une pauvre, sans famille, sans relations, sans pouvoir. Celle-ci, démunie de tout, a un litige grave avec un "adversaire" non nommé. Son affaire est bloquée, son dossier traîne au greffe du tribunal, tout en-dessous de la pile des dossiers "en attente" comme il en va souvent dans les affaires des pauvres. Que faire ? Le juge n'a pas la foi et n'a cure de la détresse de cette petite vieille ; celle-ci n'est pas une dame distinguée, elle ne peut offrir des pots-de-vin, elle ne connaît personne qui pourrait la "pistonner".
Elle n'a qu'une arme : SA PERSEVERANCE ... SA TENACITE ...SON OBSTINATION. Mais ça suffit : elle va gagner !
Longtemps il refusa ; puis il se dit : " Je ne respecte pas Dieu, je me moque des hommes, mais cette femme commence à m'ennuyer !! ... Je vais lui rendre justice pour qu'elle ne vienne plus sans cesse me casser la tête".
Rien, semble-t-il, ne pouvait ébranler le juge...sauf une vieille enquiquineuse ! Du fond de son dénuement, elle a eu recours à sa seule puissance : LA FORCE DE LA PRIERE TENACE !
Et Jésus a l'audace de comparer cette situation à celle de ses disciples.
Le Seigneur ajouta : Ecoutez bien ce que dit ce juge sans justice. Dieu ne fera-t-il pas justice à ses élus qui crient vers lui jour et nuit ? Est-ce qu'il les fait attendre ? Je vous le déclare : sans tarder, il leur fera justice...
L'Eglise de Jésus est souvent dans la situation de cette malheureuse : attaquée par ses ennemis, traquée par des systèmes qui veulent sa disparition, elle subit bien des épreuves. Du fond de sa détresse, impuissante, sans moyens de défense, elle crie vers son Dieu, elle appelle au secours....et souvent rien ne se passe ! Elle a l'impression que son Dieu l'abandonne à son sort, qu'il n'a pas le pouvoir de la sauver ! Serait-il impuissant ? Ou - pire - injuste, sourd ?...
Absolument pas, assure Jésus, et il donne à ses disciples l'exemple de cette veuve. Voyez comment une pauvre sans ressources est capable de réaliser l'impossible : faire changer un c½ur sans pitié. A fortiori, soyez absolument sûrs que Dieu vous écoute...puisqu'il est bon. Même si apparemment rien ne change dans l'immédiat.
Quelque temps plus tard, arrivé à Jérusalem, Jésus, le pauvre, le juste, va se trouver, comme la veuve, devant des juges puissants, impitoyables, refusant de l'écouter. Alors devant le piège qui se referme sur lui, devant l'inéluctable, la torture et la mort affreuse sur le gibet, il va prier, crier , hurler, pleurer.. Au jardin des Oliviers : " Père, que cette coupe s'éloigne loin de moi..." ; au calvaire : " Mon Dieu mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?...". Mais, il en était certain, son Père ne l'avait pas abandonné : après l'épreuve terrible, il l'a exaucé, il l'a sauvé. Non en lui épargnant la souffrance et la mort, mais en le conduisant, par-delà, dans une Gloire indicible, un bonheur inexprimable, la paix de la Résurrection. Ainsi donc le Christ nous enseigne à tenir bon, à ne pas nous laisser décourager, à ne pas douter de Dieu, à ne compter que sur notre PRIERE OBSTINEE pour obtenir l'inespéré : le changement des c½urs injustes, le triomphe de la justice, la victoire de la VIE.
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Mais cette recommandation se clôt sur une des phrases les plus énigmatiques et les plus tragiques de l'Evangile :
Mais le Fils de l'homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ?....
Jésus le sait : les siècles vont passer, les ennemis de l'Eglise ne désarmeront jamais, les attaques deviendront de plus en plus virulentes. Des chrétiens vont devoir endurer des choses horribles. A bout de force, certains en viendront à se demander : " Est-ce que ça vaut la peine ? Est-ce que Dieu nous écoute ? Pourquoi n'intervient-il pas plus vite ?...". Et, lassés d'attendre, beaucoup abandonneront leur espérance, se rangeront dans la masse. Le mal injuste est et restera toujours le scandale n° 1, c'est-à-dire l'objection majeure, ce qui fait perdre la foi à des multitudes.
Dans la prière, ce ne sont pas "les distractions" qui sont à craindre mais notre découragement, nos arrêts. Nous croyons avoir prié après avoir chuchoté une petite formule (" Ô Seigneur, écoute et prends pitié") et nous retournons bien vite à nos occupations. Il nous faut apprendre à tenir, des heures, des années, à hurler, à exiger justice, à crier sans nous lasser. Evaluez donc la puissance d'appel des "intentions de prière" à la messe du dimanche ! Nous ne crions pas comme il faudrait. Restons sûrs que même s'il nous faut souffrir et mourir, Dieu nous entend, il nous fait justice, il nous conduit par des chemins dangereux...mais la confiance nous conduit à lui.