Cette parabole propre à St. Luc est adressée aux seuls disciples disent les spécialistes en écriture sainte. Elle leur pose d'ailleurs des problèmes d'interprétation. Je vous en donnerai une qui, pour n'être pas définitive, semble la plus appropriée au contexte. Celui-ci évoque le jour du fils de l'homme, le jour du jugement final et les épreuves qui l'accompagnent. Jésus invite les disciples à prier sans cesse en ces temps d'épreuves possibles.
La parabole nous parle d'une veuve qui demande justice. Situons alors le système judiciaire de la Palestine qui constitue l'arrière plan du texte afin de bien le comprendre. Il existait, au temps de Jésus, deux juridictions en Palestine. La juridiction traditionnelle religieuse s'appuyait sur la Thora tandis qu'une autre autorité, politique celle là, plus arbitraire que la première, dépendait de magistrats qui n'étaient pas liés par la Loi. Il s'agit ici d'un juge administratif. Il nous est présenté d'emblée comme un juge inique, un homme sans foi ni loi. Cette description nous informe déjà qu'il ne faut rien attendre d'un tel juge. Face à lui, une pauvre veuve, le type même de l'être sans défense, mais qui sait ce qu'elle veut. Le texte reste vague sur l'objet de sa plainte mais on sait qu'en dépit des rebuffades reçues, elle ne se décourage pas. En cela, elle est déjà pour St. Luc, un modèle de persévérance. Le juge est mal à l'aise devant son opiniâtreté. St. Luc emploie, à son propos, une expression qui a plusieurs significations. Soit le juge craint qu'elle ne lui « noircisse » la face ou encore qu'elle ne lui casse la tête ou « poche les yeux » (selon une expression orientale). En un mot, nous dirions aujourd'hui qu'il craint d'être déconsidéré ou de perdre la face. Le déshonneur étant, pour un oriental, la pire des choses. Aussi, il lui donne satisfaction.
St. Luc va faire l'application de cette parabole à la situation des communautés chrétiennes déjà ravagées par les abandons et les apostasies. « Dieu ne peut-il pas faire justice à ses élus quand ils prient jour et nuit ? » Aux communautés déchirées par les abandons de certains et qui voudraient que le Seigneur revienne installer son Royaume définitif, St. Luc rappelle que si Dieu tarde à rendre justice aux siens, c'est pour leur accorder un temps de pénitence et de conversion. La patience de Dieu, à travers son apparent silence, est sa volonté de créer un espace au repentir. Le retard de Dieu, c'est sa miséricorde. Et Jésus nous dit « Vous, priez pour rester fidèles, oui, mon heure viendra, oui, justice sera faite, gardez confiance et foi. Mon silence actuel est le cadeau de ma miséricorde, ouverte à votre conversion. »
Et Luc rajoute : « Mais le fils de l'homme quand il viendra, trouvera-t-il encore la foi ? » Cette parole de Jésus est comme un reflet de l'angoisse profonde du Maître devant la possibilité de notre manque de persévérance ou celle du refus de son message. Manque ou refus de ses contemporains et des chrétiens de tous les temps.
En effet, ce qui mine notre foi, n'est ce pas que Dieu semble nous laisser dans la détresse malgré nos incessantes supplications ? En réponse à cette question, l'histoire d'un rabbin est éclairante. Un village connaissait une grande sécheresse et la famine menaçait la communauté villageoise. Les anciens réunis décidèrent de faire appel à un saint des environs afin que sa prière obtienne de Dieu la pluie tant désirée. Celui-ci quémandé, trace sur le sol sableux de la place publique un large cercle et, installé en son milieu, il commence sa prière « Dieu de nos pères, je me tiens debout devant toi. Je me mets dans ce cercle et fais le v½u de prier et de jeûner sans en sortir jusqu'à ce que tu ais fait descendre sur ce village une pluie bienfaisante. » Mais un jour passe, puis 3, puis 7. Le ciel est aussi bleu que la terre des champs est sèche. Le rabbin s'avoue vaincu et s'en retourne chez lui. Les anciens tiennent à nouveau conseil et, se disant que cet homme ne devait pas être assez « juste » aux yeux de Dieu, ils décident de quérir un rabbin de Jérusalem, la ville sainte. Le second accepte et suit le même scénario que son confrère. Or, en moins de deux heures, une nuée sombre se pointe à l'horizon puis éclate en une forte pluie. La situation est sauvée. Ayant appris cela le premier rabbin arrive tout chaviré et questionne le second : « Comment se peut-il que le Seigneur ne m'ait pas écouté alors que j'avais tant jeûné et prié ? » Le second lui raconte alors une parabole « Un roi avait deux filles. L'une était disgracieuse, des cheveux comme des brindilles de bois, des yeux frappés de strabisme, une démarche contrefaite et une voix proche d'une crécelle L'autre était, en revanche, ravissante. Ses cheveux étaient comme de la soie, ses yeux des perles fines et sa démarche souple et légère comme celle d'une gazelle. Enfin sa voix avait le bruissement d'une source naissante. Il arrivait à l'une et l'autre de demander audience au roi leur Père afin d'obtenir quelque faveur. Quand la seconde venait à ses pieds, le roi prenait un tel plaisir à sa présence et à ses propos qu'il la gardait auprès de lui le plus longtemps possible, n'accédant à ses demandes qu'après de longues journées d'entretien. Lorsque c'était au tour de l'autre, il éprouvait un tel déplaisir qu'il lui accordait sur le champ l'objet de sa requête. » Et le vieux rabbin de conclure : « cette parabole est destinée à tous ceux qui se fatiguent les genoux sans obtenir de résultat apparent. »
Voilà qui ne doit pas nous inviter à tourner le dos à la perfection pour être vite exaucé ! Mais voilà qui doit nous rappeler que même pécheur, Dieu attache du prix à notre compagnie et à notre bonne volonté foncière. Restons persévérant. Demandons que Dieu nous éclaire sur ce qui pourrait nous apparaître comme une fin de non-recevoir. Et rappelons-nous toujours trois choses : Il faut demander de bonnes choses, c'est à dire que ces demandes soient orientées dans la perspective des valeurs évangéliques. Il faut bien les demander, c'est à dire faire valoir ses titres de noblesse. Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, priait Moïse. Il rappelait à Dieu ses promesses et son Alliance. N'allons pas à Dieu comme des délinquants. Depuis notre baptême nos noms sont inscrits dans le ciel. Faisons valoir notre titre d'enfant de Dieu.
Demander de bonnes choses. Bien les demander. Demander en étant bon soi-même, offrant à Dieu notre contrition et notre bonne volonté. Ainsi prier, c'est comprendre que l'histoire entre Dieu et nous est une histoire d'amour. Et la confiance et l'abandon ne sont-ils pas, comme disait St. Paul, les fruits mûrs de l'amour ? Prier, c'est n'avoir rien d'autre à offrir que son cri. Prier, c'est accueillir la présence divine dans le creux de sa faiblesse