29e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 1997-1998

Elle avait tout pour être heureuse et d'ailleurs elle l'était. Il y a quelques mois, elle s'en est allée sur la pointe des pieds, trop tôt c'est vrai. Mais elle était tellement sereine, en paix, avec elle-même et avec Dieu malgré le fait qu'elle aurait aimé voir la vie, sa vie continuer. C'est un soir d'automne que la nouvelle est tombée, froide, brutale, comme un coup de poignard au coeur de son être et un filet de sang qui s'écoule peu à peu jusqu'à l'épuiser. Est venu le temps de la révolte, du cri de sa souffrance, du pourquoi « moi ». Sa prière fut d'abord une plainte douce, vite transformée, il est vrai en colère. Et puis, lentement, est venu le temps de la supplication, la demande insistante pour que tout puisse changer, revenir comme avant. Elle y croyait. Elle espérait. Elle refusait de perdre courage et continuait à désirer, au plus profond de son être, peut-être à ce que nous appelons un miracle. Mais ses forces continuaient de la quitter peu à peu. Elle demanda, elle supplia, elle implora, elle persévéra. Rien n'y fit et face à cette demande, un silence, un profond silence, comme l'écho d'une absence. Dieu semblait si loin, Dieu semblait si sourd. L'histoire que je vous raconte ce soir (matin), je ne l'ai pas inventée et je crois que de nombreuses personnes dans cette assemblée pourront y mettre un visage, un prénom, différent de celui-ci de mon histoire. Et cela importe peu d'ailleurs puisque mon histoire se conjugue au pluriel. Elle cria jour et nuit, comme la veuve de l'évangile. Rien n'y changea. Puis un soir, elle s'arrête presque par hasard. Elle n'a jamais su pourquoi. Elle reprit lentement conscience de la respiration de ce qu'elle était ; et qui était de lâcher prise, de s'abandonner mais pour mieux se recevoir. J'ai vécu, me dit elle, l'expérience merveilleuse de la prière, c'est-à-dire ce mouvement qui descend de la tête vers le coeur et qui découvre quelque chose de mon être. Mais aussi ce mouvement des entrailles jusqu'au coeur. L'expérience de l'émotion, d'un frémissement sensible qui s'apaise et se purifie pour devenir tout amour. A partir de ce jour, sa vie fut tendresse, oui, vraiment tendresse. Elle avait décidé d'ouvrir les yeux pour se nourrir des mille et une petites merveilles de la vie, de se laisser surprendre par la beauté des gestes simples. Elle n'attendait plus rien mais elle reçut tout jusqu'à ne plus rien regretter. Elle se rendit compte que sa prière ne fut pas vaine ; oui, elle avait été entendue. Oh Dieu, ce Dieu qu'elle rencontrait dans ses moments intimes n'avait pas changé le cours ni de son histoire, ni de sa maladie. Par contre, il se révéla à elle de manière inattendue, là où elle ne l'attendait jamais, en des êtres qui l'entouraient, dans tout ces gestes d'amitié échangés. Dieu l'accompagnait, la soutenait, lui tenait tendrement le bras, disait-elle. Dieu se révéla à elle, comme jamais il ne l'avait fait auparavant. J'étais aveugle et aujourd'hui, enfin, je vois. Regardez, confia-t-elle en désignant ce qu'elle appelait le « mystère de l'océan ». Nos yeux ne voient que la surface de l'eau. Mais dessous se cachent de vastes profondeurs et des merveilles à peine imaginables. C'est la même chose quand nous ouvrons les yeux sur la vie. Dans notre vulnérabilité nous osons aller sous la surface pour apercevoir le coeur de l'être rencontré. Nous n'avons plus rien à perdre, seulement tout à gagner. L'impression d'absence divine s'est peu à peu transformée en un bruit joyeux de sa présence révélée dans cette multitude d'attitudes offertes en vérité, dans ces regards, sourires. A partir de ce moment-là, il n'y avait plus besoin de se cacher. Vous êtes beau, me dit-elle en fermant les yeux. Maintenant, je ne vois plus que cette beauté intérieure. Et je ne regrette rien, car ces derniers mois, toutes les rencontres que j'ai vécues l'ont été en vérité. Dieu était avec moi.

Merci à toi, femme de mon histoire, toi qui a vraiment existé, toi qui fut si belle dans ta mort, de nous rappeler par delà la vie éternelle que Dieu se révèle à nous dans tous ces petits événements qui nous font porter la vie. Grâce à toi, nous découvrirons peut-être et plus souvent que nous ne le pensons, combien sont vraies les paroles de l'Apocalypse(3:20) : « Je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi ». Puissions-nous entendre au creux de notre silence, Celui qui frappe à notre porte et s'invite en nous. Amen.