Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais dans la langue française, les expressions liées au service sont souvent de l’ordre du devoir, du pouvoir ou de l’argent. Le service militaire, le service public, le service après vente, le service compris… Le service est vu comme un devoir accomplir, quelque chose qui se paie, qu’il faut rendre, un dû, ou une tâche imposée par la fonction, une prestation contre rémunération. Comme si le service était toujours calculé ! Il est d’ailleurs éclairant de voir que lorsqu’un service est gratuit, il faut le préciser… Comme si la notion de service impliquait toujours un rapport synallagmatique entre deux personnes…
Comme je vois que certains froncent les sourcils, permettez-moi de vous définir ce terme ! En droit, un contrat ou une relation est dite synallagmatique lorsqu’elle fait naître des obligations, à la charge des deux parties. C’est une relation bilatérale, donnant donnant, où on attend toujours quelque chose en retour !
Et telle est bien ce qui caractérise la demande de Jacques et de Jean. Ils voient Jésus en terme de puissance, comme un Messie utile qui donnerait du pouvoir en retour de ce qu’ils ont fait. Bref, ils ont l’image d’un Dieu protecteur, censé répondre à leurs attentes, à leurs demandes. Ils sont dans le pouvoir et l’avoir.
Jacques et Jean veulent se placer, comme on dit, ils veulent mettre Dieu au service de leur ambition. Jésus, quant lui, veut que s’opère en eux un déplacement. La réponse qu’il leur adresse de manière surprenante, il nous l’adresse également : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? ». « Que veux-tu ? » « Quel est ton désir profond ? » « Quel est le vrai désir au fond de toi, celui qui n’attend rien en retour, qui donne sans calculer ? »
Finalement, il n’y a de réel « pouvoir » que dans le service. Et se mettre au service, ce n’est pas être dans le calcul, dans l’attente de quoi que ce soit. C’est pourquoi, il y a un réel paradoxe dans le fait d’être serviteur. Si on y réfléchit bien, être serviteur, c’est être dans la gratuité et ne pas avoir besoin de la gratitude des autres pour exister. Le vrai service n’attend rien en retour, même pas un merci !! Il n’est en rien un lieu de reconnaissance, mais il rend libre. S’il y en a qui sont amoureux de leur liberté, et en devennient esclaves au point de ne plus choisir, il y a ceux qui découvrent leur vraie liberté, en choisissant le service, gratuitement ! Le service n’est pas une arme pour recueillir de l’affection. Mais un langage pour en donner.
Ne faisons donc pas dire à l’Evangile ce qu’il ne dit pas ! Nous ne sommmes pas invités à nous faire tout petits, à nous enchaîner. Jésus nous invite bien à la croissance : “Celui qui veut être grand” dit-il. Mais être grand au sens de l’Evangile, c’est quitter ce stade enfantin de la maîtrise, du “je veux”, de la BA qui attend quelque chose en retour, pour entrer dans la dynamique non violente du service et de la gratuité.
Pour l’Evangile, être grand, c’est n’est pas être au centre de son propre monde, mais c’est prendre le monde dans son coeur, le regarder, l’écouter, le servir. C’est pour cela que, pour être grand à la manière de Jésus, il nous faut “recevoir notre baptême”, être capable de traverser l’échec, de sublimer le manque. Etre plongé dans le baptême, c’est grandir pour affronter la vie telle qu’elle se présente, dépasser la frustration de l’attente, revêtir l’homme nouveau, qui se met au service…
Car finalement, être dans un rapport de pouvoir, c’est toujours “attendre” quelque chose. Attendre des résultats, du profit, de la reconnaissance. Mais se mettre dans la tenue de service, être plongé dans le baptême, c’est ne rien attendre en retour.
A ceux qui attendent des résultats comme autant de sécurités et lieux de reconnaissance, l’Evangile proposera toujours de suivre une autre approche plus risquée mais plus profonde : celle des serviteurs, qui osent la gratuité et n’attendent rien en retour. Amen.