Mt 17, 1-9
La valise est là, au milieu du hall. Elle est prête depuis plusieurs heures déjà. Et lui, il tourne autour. Vérifiant si tout y est. N'a-t-il rien oublié ? Une dernière fois, une main se glisse dans le petit sac, oui, le passeport, le billet et l'argent sont à leur place. Oui, il a bien le numéro de téléphone pour prévenir les gens qui l'attendent de l'autre côté. Il vérifie et sait déjà au fond de lui qu'il reviendra vérifier une fois encore et encore. Et ce, tant que la voiture ne le conduira pas au lieu d'embarquement. Il est content de partir, léger dit-il pour se rassurer mais avec un certain stress quand même. Il est vrai qu'il part pour quelques semaines dans un pays étranger, tellement différent du sien. Il ne connaît pas leur langue, leur culture mais avec le peu d'anglais qu'il possède, il devrait pouvoir s'en sortir. En tout cas, c'est ce que certains lui ont affirmé.
Les départs vers des contrées inconnues de nous-mêmes, nous laissent rarement indifférents. Des sentiments mixtes nous traversent : à la fois le plaisir de partir à la découverte de la différence, de se prouver que nous sommes capables de nous débrouiller seul, que la solitude ne nous effraye pas trop. Puis il y a aussi, la crainte du choc brutal, une peur à dépasser parce que nous espérons que nous en sortirons grandis. Il y a également ces questions : si nous partons pour longtemps, allons-nous changer, perdre certains de nos repères ? Le départ est donc toujours quelque part un dépassement, un risque. Et sans risque, il n'y a pas de vie.
En effet, (comme nous l'avons entendu), le plus grand danger dans la vie, c'est de ne rien risquer du tout. Celui qui ne risque rien, n'a rien ; celui qui risque rien, n'est rien. Seuls celles et ceux qui risquent sont libres. Si la liberté est le prix du risque, en amont de celle-ci nous sommes conviés à vivre l'expérience de la confiance. En effet, lorsque nous partons, vers cet ailleurs qui nous est inconnu, nous sommes parfois amener à faire ou refaire le pari de la confiance. Il n'y a pas d'autre possibilité. Nous sommes seuls et la confiance en l'autre, en cet inconnu, nous permet de retrouver certains repères, en découvrir de nouveaux, se rendre compte qu'ils fonctionnent tout autant et surtout apprécier la joie de la différence. Un peu comme si notre lumière intérieure s'illuminait pour rayonner de bonheur au travers de notre visage. Ces expériences sont multiples au cours d'une vie et il n'est certainement pas nécessaire de voyager des milliers de kilomètres pour les vivre. Il suffit parfois de se tourner vers soi, tout simplement.
Et Dieu, en ce jour, nous enjoint, à l'instar d'Abraham, de partir, de quitter les contrées de nos certitudes pour repartir, en ce temps de Carême, vers des horizons moins connus, voire inconnus. Ce départ-là se vit d'abord au plus profond de notre être, à l'endroit précis où Dieu aime venir se poser, se reposer, là où se noue l'humain et le divin. Nous devons, ici aussi, oser faire confiance, prendre le risque de prendre Dieu au sérieux. Pars, ne crains pas, je suis avec toi, jusqu'à la fin des temps, susurre-t-il dans une brise légère au c½ur de notre désert. Un peu comme si nous étions invités à nous quitter pour mieux le rencontrer. Tout au long de notre existence, nous avons reçu de celles et ceux qui ont croisé notre chemin et aujourd'hui, c'est à nous de partir et de marcher sur les destinées sinueuses de nos histoires. Cette démarche commence par chacune et chacun d'entre nous, là où nous en sommes. Je pars de qui je suis. Pour se faire, je dois connaître mes repères intérieurs, ceux qui me rassurent et ceux qui me donnent des ailes pour voler dans la vie. Fort de cette connaissance, je pars, je me quitte, sans pour autant jamais me nier ; je me quitte tout simplement pour partir à la rencontre de Dieu en moi ou chez l'autre.
Avec cette conviction d'en revenir transfiguré. Ayant dépassé mes propres peurs, je fais l'expérience lumineuse, merveilleuse d'un dépassement, d'une autre manière de regarder la vie et le monde. Mon regard s'illumine de lumière divine. Ayant quitté mes certitudes et pris la main de Dieu tout en confiance, je découvre à nouveau ce bonheur de croire en celui qui se transfigure sous nos yeux. L'expérience de la transfiguration devient ainsi l'invitation constante à quitter la plaine de nos raisonnements pour grimper la montagne de Dieu. Au sommet de celle-ci, au sommet de nos vies, Dieu se donne en lumière pour éclairer nos départs incertains. Que la lumière du Transfiguré nous ouvre la route de cette destinée à accomplir, à réaliser. Pourquoi ? Tout simplement parce que de la nuée, une voix disait : " Celui-ci est mon Fils bien aimé, en qui j'ai mis tout mon amour ; écoutez-le ".
Amen.