2e dimanche de Carême, année B

Auteur: Van Aerde Michel
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

Ce récit pose la question très moderne de la conscience humaine de Jésus. Il vit, nous dit-on, une rencontre décisive, avec Moïse et avec Elie, les deux grands prophètes de l'Ancien Testament qui, tous deux, ont eu une mort exceptionnelle. Ils sont sur une montagne, bien entendu ! Et même dans la nuée, c'est à dire dans la présence de Dieu, dont la voix se fait entendre. Quelque soit l'interprétation que l'on peut donner à ces symboles, il s'agit d'un événement spirituel très fort, d'une expérience exceptionnelle comme beaucoup de mystiques en ont vécues. Mais quel est son statut pour Jésus ?
Ils parlaient de son départ  c'est à dire de sa mort/résurrection, ce que Jésus va confier aux trois amis qui ne comprennent pas.

Cette transfiguration anticipe sa résurrection. Elle est pour lui un épisode initiatique, comme le fut son baptême, où il peut entrevoir ce qu'il va devoir accomplir. Pour Jésus comme pour nous, il est des évènements décisifs qui partagent notre vie en deux, avec un 'avant' et un 'après'.

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Mais en est-il exactement de même, pour lui comme pour nous ? Qu'en est-il de la conscience humaine de Jésus ? A-t-il pleinement conscience de son identité ou doit-il la découvrir progressivement ? Comprend-il sa mission dans les moindres détails ou doit-il inventer jour après jour son chemin ? N'est-il pas Dieu ? N'est-il pas en relation à tout moment avec le Père, dans la communion du Saint-Esprit ? Lorsqu'il prend conscience de son identité, de manière réflexe, à travers son intelligence et sa volonté, par tout ce qu'il découvre et par les choix qu'il fait, se perçoit-il lui-même de manière progressive, comme nous le faisons, comme un être en recherche, qui ne se connaît jamais vraiment et qui se découvre comme fils de ses actes et de ses choix ? Ou bien, tout à l'inverse, quand Jésus prend conscience de son identité, du sujet profond qui est le sien, atteint-il de manière claire et immédiate son identité de Fils de Dieu, comme nous le laisse pressentir l'Evangile de Jean « Je suis le chemin, la vérité et la Vie  ». « Avant qu'Abraham fut, moi je suis  ». « Qui me voit, voit le Père  ». Il n'y a pas beaucoup d'enfants qui atteignant l'âge de 12 ans, s'adressent à leurs parents en leur disant, à l'imparfait : « Ne saviez-vous pas que je dois me consacrer aux ½uvres de mon Père  ? » Il ne le découvre pas comme une réalité nouvelle, qui lui serait révélée et qu'il pourrait leur communiquer, à un moment donné, mais comme une réalité permanente à laquelle il accède, en grandissant, de manière plus mûre, et qu'il peut exprimer de manière plus explicite progressivement. Ce qui est progressif ici, ce n'est pas la connaissance immédiate qu'il a de lui-même comme Fils de Dieu mais la capacité réflexe à se le représenter et à en témoigner.

Cela dit, le risque de beaucoup de représentations de Jésus est d'en faire un personnage totalement programmé, sans épaisseur humaine, tout à fait transparent. Jésus savait-il tout à l'avance ? Il parlait araméen, connaissait l'hébreu, quelques mots de grec, mais n'a-t-il pas dû apprendre à lire et à comprendre ce qui lui arrivait ? Voyait-il Dieu face à face ou ressentait-il seulement une profonde communion, pas toujours assurée si l'on en croit son cri « Pourquoi m'as-tu abandonné ? »  Connaissait-il l'avenir en ses détails les plus précis et pour l'ensemble de son déroulement ? Quand il posait une question à ses disciples, n'avait-il qu'une intention pédagogique et connaissait-il déjà la réponse ? Par exemple : « combien avez-vous de pains et de poissons  ? En parlant de Lazare, son ami enterré depuis trois jours, « où l'avez-vous mis ?  » Mais, plus sérieusement, quand il demande « Pour vous, qui suis-je  ? », se pose-t-il la question ?
Répondre oui à certaines de ces questions serait faire de Jésus un monstre, un extraterrestre, une simple apparence d'être humain. Ce serait retomber dans cette hérésie présente dès les tout débuts et dénoncée sous le nom de docétisme, qui veut dire apparence : apparence d'homme, apparence de souffrance, apparence de limite ? Jésus est pourtant bien présenté comme « fatigué de la route, et ayant soif » : s'il est limité physiquement, pourquoi ne le serait-il pas mentalement ? Vivrait-il une apparence d'humanité ? On raconte qu'à la demande « qu'est-ce qu'il a dit, Jésus, sur la croix ? », un petit garçon, au catéchisme a répondu : « Jésus ? Il a dit : 'Je m'en fiche, dans trois jours, je ressuscite' ». 

Paradoxalement, le Coran qui nie la divinité de Jésus, va cependant dans ce sens quand il prétend que Jésus n'est pas mort, qu'il ne pouvait pas mourir, et que les hommes ont été trompés par une apparence, une illusion. Cela nie la radicalité de l'incarnation. Le dialogue interreligieux se limite le plus souvent, même si c'est important, à de l'interculturel. Le vrai débat porte en fait sur ce point : Jésus était-il le Fils unique de Dieu, le Verbe créateur, « né du Père avant tous les siècles, engendré, non pas créé ». Et, malgré tout n'est-il pas mort, de la main des hommes, pour devenir principe de toute résurrection ? N'a-t-il pas subi le déferlement de la haine pour témoigner une fois pour toutes que l'amour de Dieu est allé jusqu'au bout et que le pardon est toujours offert ?

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Cela nous dépasse et nous comprenons le témoignage de Pierre, qui s'exprime avec ses mots à lui :

Ce n'est pas en suivant des fables sophistiquées que nous vous avons fait connaître la puissance et l'Avènement de notre Seigneur Jésus Christ, mais après avoir été témoins oculaires de sa majesté. Il reçut en effet de Dieu le Père honneur et gloire, lorsque la Gloire pleine de majesté lui transmit une telle parole : " Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur. " Cette voix, nous, nous l'avons entendue ; elle venait du Ciel, nous étions avec lui sur la montagne sainte.  (2P.1, 16-18)