2e dimanche de Carême, année B

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

UN VISAGE ÉCLATANT ... SANS « ANTI-ÂGE »

Le texte lu ce dimanche - la Transfiguration de Jésus - omet la notation chronologique par laquelle Marc (comme Matthieu) ouvre son  récit. Alors que d'habitude il ne précise pas la succession des événements, ici, il prend bien soin de souligner que cette scène s'est passée « 6 jours après ». Après quoi ? Après le jour où Pierre a confessé que Jésus était le Messie attendu et où, pour la 1ère fois, Jésus a commencé à enseigner qu' « il fallait que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes et que, 3 jours après, il ressuscite » (8, 31). Et il a ajouté à l'adresse de tous (disciples et foule) que celui qui voulait le suivre devait, lui aussi, se renoncer et prendre sa croix.
On imagine le choc, la stupeur, l'incrédulité, le bouleversement provoqués sur le coup chez les disciples par cette révélation totalement imprévisible. Pierre ose même réprimander Jésus d'avoir dit cela.

Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean et les emmène, seuls, sur une haute montagne. Et il fut transfiguré devant eux.....»
Il existe donc un lien profond entre les deux scènes. Parce que Jésus veut accomplir jusqu'au bout la mission reçue au baptême, il a besoin de prière plus intense, de contact plus profond avec son Père (symbole de la montée dans la montagne). Devant la perspective épouvantable qui l'attend, le visage livide, les traits crispés, il assume son destin et ose le dire à tous : c'est pourquoi là-haut son Père le remplit de paix, de confiance, de lumière. Ne crains pas : je suis avec toi.

« Elie et Moïse leur apparurent : ils s'entretenaient avec Jésus ».
Le premier a guidé la libération de l'esclavage, a contracté l'alliance avec YHWH, a apporté la Loi. Il est le grand législateur, la figure grandiose. Le second est le prophète enflammé, le défenseur de la Loi contre l'invasion des cultes idolâtriques. Tous deux ont reçu le privilège de l'intimité de Dieu sur la montagne du Sinaï mais tous deux ont péché et ils n'ont apporté qu'un salut précaire et partiel. A présent, sur la montagne, ils confortent Jésus dans sa décision. Ils viennent reconnaître qu'ils n'étaient que des prophètes, des porte-paroles de Dieu, des précurseurs. Jésus les dépasse infiniment : lui seul, le Fils, va conduire à terme l'½uvre qu'ils n'avaient qu'esquissée. L'Ancien Testament culmine en Jésus qui est, en personne, la Nouvelle Alliance.

« Quel bonheur d'être ici ! Dressons 3 tentes, une pour toi...une...une ... »
Pierre, qui s'était insurgé contre la nécessité de la croix, est comme transporté, il aimerait prolonger ce moment de grâce. Le Royaume de Dieu n'est-il pas arrivé ? Oubliées les Béatitudes exigeantes ! Oubliée l'annonce de la croix ! Jouissons du moment présent, de l'extase. Dressons, bâtissons, construisons...pour l'honneur de Dieu et de Jésus.

« Il ne savait que dire. Survint une Nuée qui les couvrit de son ombre, et, de la Nuée, une voix se fit entendre : «  Celui-ci est mon Fils bien-aimé : ECOUTEZ-LE »
Pierre se croyait dévoué en multipliant les petits sanctuaires. Mais lorsque, dans l'accueil de la croix, Jésus commence à être glorifié, c'est l'inverse qui se produit : c'est Dieu (dont la Nuée est toujours le symbole de la présence) qui fait un temple unique avec un peuple unique. Moïse et Elie, David et Jean-Baptiste....Pierre, Jacques, Jean, Paul...François d'Assise, Dominique, Vincent de Paul, la petite Thérèse : l'infinie multitude des disciples, à travers l'histoire,  devient LE SEUL TEMPLE VIVANT recouvert, englobé par la « shékinah », l'Esprit de Sainteté, la même Lumière. Il n'y a plus d'ancien et de nouveau testaments, mais une seule ALLIANCE.
Dieu redit ce qu'il avait confié à Jésus seul lors de son baptême (Toi mon Fils)...mais il ajoute à l'intention de tous : ECOUTEZ-LE. Qu'a-t-il dit ? Ce qu'il enseigne depuis le début et surtout la révélation qu'il vient de dire récemment : « Il faut que...Et si quelqu'un veut me suivre... ». La croix n'est pas un accident pour Jésus, une éventualité pour des candidats au martyre, un moyen parmi d'autres de libérer l'humanité. « Il la faut » non parce que Dieu veut des victimes mais parce que les hommes - même des responsables religieux de haut niveau - refusent le Royaume tel que Dieu, en Jésus, veut l'établir sur terre. Trop dur, trop universel.

« Regardant tout autour ils ne virent plus que JESUS SEUL AVEC EUX »
De façon furtive, comme un flash, on vient d'entrevoir le mystère de cet homme désigné par Dieu. On le retrouve comme avant, visage tendu de quelqu'un qui sait ce qui l'attend, qui va se heurter à la haine des hommes. Mais IL EST AVEC EUX. Seul il compte. Il ne les abandonnera jamais. Même dans leur lâcheté.
« En descendant il leur recommanda de ne rien dire à personne jusqu'à ce qu'il ressuscite d'entre les morts ».
Le moment n'est pas venu de s'arrêter dans l'extase béatifique : il faut redescendre de la montagne, rejoindre les hommes et poursuivre la route. Maintenant on sait où elle mène.
Jésus à nouveau intime le silence. Pas plus que des miracles, il ne faut parler des visions et des extases : ce serait, chez les uns, alimenter une religion de prodiges et de merveilleux, et, chez les autres, susciter moqueries et incrédulité. D'ailleurs cette grâce de transfiguration n'a pas converti les trois apôtres : lorsque le danger à Gethsémani surgira, ils s'enfuiront comme les autres, refusant cette issue dramatique et accrochés à leur certitude : Oui au Royaume mais sans la croix !

KIPPOUR ET FÊTE DES TENTES : ANNONCE DE MORT ET VISAGE DE LUMIÈRE

Après Pâques, éclairés par l'Esprit, les disciples reliront leurs Ecritures et ils remarqueront qu'il y a ce même intervalle de jours entre deux grandes fêtes (en ce temps, on compte les jours en jeu) :

1) Le 10 du 7ème mois, Israël célébrait la grande Fête du Pardon : YÔM KIPPOUR. Par l'offrande de plusieurs animaux, et en accomplissant le rite du bouc émissaire (symboliquement chargé de tous les péchés et voué à la mort dans la solitude du désert), le grand prêtre obtenait la purification totale pour lui, sa maisonnée, le sanctuaire et tout le peuple : « C'est pour vous une loi immuable : au 7ème mois, le 10, vous jeûnez...On fait sur vous le rite d'absolution... Devant YHWH, vous serez purs de tous vos péchés » (Lévitique 16, 29)                              Aujourd'hui encore, pour les croyants juifs, il s'agit du grand jour de l'année : jour de jeûne total, de prières intenses, le seul jour où tous les péchés de l'année sont pardonnés.

2) Le 15 de ce même mois, avait lieu la grande FÊTE DES TENTES. Pendant 8 jours, le peuple vivait dans des cabanes en faisant mémoire des ancêtres hébreux qui, après la sortie d'Egypte et le don de l'Alliance, avaient marché à travers le désert, logeant sous tente, avant de pénétrer dans la terre promise. Et on évoquait le souvenir de Moïse qui avait le privilège d'entrer dans la Tente du Sanctuaire où il recevait la Parole de  YHWH et dont il sortait, dit-on, le visage si rayonnant qu'il devait le couvrir d'un voile (Exode 34, 29-35).

Merveilleuse découverte pour Marc et les 1ers chrétiens ! Ainsi donc le calendrier des fêtes traçait la destinée de Jésus. Annonce de La Passion puis Transfiguration étaient comme les signes prémonitoires de ce qui allait se produire à Jérusalem :
La croix met fin aux sacrifices d'animaux : le sang de Jésus (rejeté comme le bouc émissaire) est versé pour offrir le pardon des péchés du monde, c'est le Yom Kippour pour le monde.
La Transfiguration finale est celle de la Résurrection le 3ème jour (intervalle resserré)
Jésus glorifié et ses disciples sont un seul peuple, dans la communion de l'Esprit.

CONCLUSION

Les fêtes liturgiques se suivent dans une succession logique et constituent la formation permanente du peuple chrétien. Elles ne sont pas des ritournelles ennuyeuses parce que toujours les mêmes.  Bien comprises, bien vécues, elles balisent le chemin de la foi, elles nous apprennent à vivre.
Le 1er dimanche de carême nous faisait réentendre l'appel du baptême qui nous donnait notre identité (TU ES MON FILS), il nous pressait de rejeter les tentations du monde grâce à la prière.
Le 2ème dimanche nous fait réécouter la voix de Dieu : Oui vous avez raison de suivre Jésus. Si vous en avez la grâce, jouissez des moments de bonheur qu'il vous offre en vous donnant, par l'Eucharistie, le pardon de tous vos péchés. Mais n'arrêtez pas l'histoire, ne fuyez pas  le monde, poursuivez votre mission, cherchez la conversion de l'Eglise, proclamez la Bonne Nouvelle. Et acceptez peu à peu, et dans la douleur, les échecs, les croix de la vie : en vous faisant grandir dans l'amour, ils vous conduiront en ce nouveau monde où il n'y aura plus de faces défigurées, de corps violés et meurtris mais des Visages de Lumière dans un monde transfiguré.