Quand Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, seuls, à l'écart, c'est qu'il va se passer quelque chose. Quand, en plus, cela va se passer sur une haute montagne, c'est le signe que ce sera très sérieux. En effet, que s'est-il passé, bibliquement, sur des « hautes montagnes » ? C'est sur l'Horeb que Moïse reçut la révélation du Nom divin et c'est sur le Sinaï qu'il reçut la Loi. Nul doute que ce qui va se passer ici sera du même ordre, de la même importance.
Les vêtements resplendissants ne sont pas non plus un détail anodin. C'est ainsi qu'était déjà décrite la venue du Fils de l'homme dans l'Apocalypse de Daniel (3 siècles avant l'évangile). Mais que viennent faire ici Elie et Moïse ? Elie était, dans la tradition juive, le Prophète par excellence. Il était passé par l'Horeb et la tradition disait qu'il n'était pas mort mais qu'il avait été enlevé au ciel. C'est lui dont on attendait le retour. Moïse représentait à lui seul la Loi, donnée -on se le rappelle- par Dieu sur une haute montagne. Par la présence de Moïse et d'Elie, ce sont les deux piliers les plus officiels de la tradition biblique qui sont témoins et associés à cette « rencontre au sommet ». Jésus en est la continuité, le renouvellement.
La proposition de Pierre de monter trois tentes est habituellement interprétée comme le désir de prolonger un moment de béatitude. Mais ce geste est aussi celui, toujours pratiqué actuellement dans le judaïsme, de la fête des Tentes au cours de laquelle, en souvenir des 40 ans au désert, on se remet dans la condition du nomade, où l'on se souvient de la Tente de la Loi que les tribus transportaient partout où elles allaient, présence de Dieu auprès de soi. Voilà donc reconstitué le contexte favorable où Dieu peut parler, a parlé, va parler et où nous serons dans les dispositions pour l'écouter.
Son message est de nous dire que ce Jésus est plus qu'un Législateur, plus qu'un Prophète (tout en les supposant), qu'il est avec Dieu dans la relation la plus intime, la plus précieuse qui soit : celle de Fils par rapport à un Père, celle de Fils bien-aimé. Située dans le contexte des annonces de la Passion, cette scène de la Transfiguration nous annonce déjà que le Christ de la Passion va souffrir certes mais qu'il est déjà et restera dans sa Passion même le Christ en gloire, un Christ vainqueur du mal parce qu'il est le Fils bien-aimé du Père.
Fils unique, fils bien-aimé de son père, c'était aussi le cas d'Isaac par rapport à Abraham. Le sacrifice du fils bien-aimé Jésus-Christ a eu lieu (mais pour montrer que Dieu l'emportait sur les pouvoirs de la mort). Le sacrifice d'Isaac n'a pas eu lieu, car le geste fatal a été suspendu. Ce qui l'a fait suspendre, c'est la même chose que ce qui l'aurait amené : la confiance en Dieu. La confiance en Dieu exige, certes, certaines remises en question de nous-mêmes mais la confiance en un Dieu-Père devrait nous éviter, à nous comme à Abraham, ce genre de suspens morbide comme si le Dieu-Père pouvait sacrifier pour le néant le Fils de la Promesse.