2e dimanche de Carême, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : C
Année: 2003-2004

Au fil des années, il y a des mots qui perdent de leur valeur, qui ne sont plus acceptés par le commun des mortels. En bref, ils deviennent intolérables dans la culture environnante. Tel est le cas de cette phrase entendue dans la lecture de saint Paul ce soir : " avec la puissance qui le rend capable aussi de tout dominer ". Quelle horreur conceptuelle : oser continuer à croire en un Dieu tout puissant, un Dieu dominateur, un Dieu écrasant tout ce qui le dérange, un Dieu qui laisse peu de place à l'être humain sur son chemin terrestre puisque ce dernier est la merci du bon vouloir divin. Telle pourrait être une certaine perception de Dieu. Belle image de ce dernier alors que plusieurs jeunes de nos paroisses se lancent ce soir dans un chemin où ils souhaitent confirmer le choix que leurs propres parents avaient pris pour eux alors qu'ils étaient pour la plupart encore bébé et ne savaient même pas parler, ni réfléchir au sens de Dieu.

"Avec la puissance qui le rend capable aussi de tout dominer ", si tel est Dieu, j'invite les confirmants à ne pas confirmer le choix de leurs parents. Par contre s'ils veulent le confirmer, il est essentiel de comprendre cette puissance, cette domination à partir du récit du septième jour de la Création tel qu'il nous a été relaté dans le livre de la Genèse. Le récit de la Création du monde est un mythe. Cela ne s'est jamais passé comme cela évidemment ; c'est une interprétation, une explication humaine du début de l'histoire de l'humanité.

Mais même si c'est un mythe, cette histoire nous raconte quelque chose. Pendant six jours Dieu va tout maîtriser, tout dominer. Puis le septième jour, à l'instant même où il décide d'achever son ½uvre Dieu choisit de se reposer. En se reposant, il cesse de dominer, de maîtriser puisqu'il ne fait plus rien. En d'autres termes, il maîtrise sa maîtrise, c'est-à-dire qu'il permet à la douceur d'exister. La toute-puissance de Dieu n'est donc pas une toute-puissance de domination, une toute puissance de maîtrise. Non, et puissions-nous ne jamais l'oublier surtout lorsque nous disons " à toi le règne, la gloire et la puissance ".

La toute-puissance divine est une toute-puissance de douceur. C'est par la douceur, l'amour et la tendresse que Dieu a choisi de dominer le monde. Alors lorsque quelqu'un affirme que Dieu est tout-puissant de domination, il ne fait que dire tout haut ce qu'il rêve d'être lui-même : un être humain désireux de tout maîtriser, dominer, voire écraser. Il n'est plus image de Dieu mais il a fait Dieu à son image de puissance. Or nous disent les Ecritures, Dieu n'est plus dans la domination, il sévit dans la tendresse, signe de sa propre douceur. La phrase de saint Paul nous devient limpide : " avec la puissance de tendresse qui le rend capable aussi de tout dominer de douceur ". Voilà ce que nous disons lorsque nous décidons de confirmer notre baptême. Nous rejetons nos désirs de puissance, de domination, de maîtrise de l'autre pour faire place à la douceur dans nos relations avec les autres ainsi qu'avec le Tout-Autre.

Cette philosophie de vie n'est pas sans conséquence sur notre propre rayonnement. En effet, si la douceur est au c½ur de nos existences, ces dernières s'illuminent de cette réalité nouvelle. La douceur divine nous transfigure à l'image du récit de l'évangile de ce jour. Dieu dans son infinie tendresse nous convie dans l'intimité de la rencontre, c'est-à-dire dans ce dialogue de la prière, à redécouvrir toute la richesse de sa toute-puissance telle qu'il nous l'a dévoilée. Entendue de cette manière la prière devient un temps de dialogue, tout simple, tout naturel entre Dieu et nous. La prière n'est pas réservée à quelques professionnels qui passent leur vie à prier. La prière n'a pas besoin de 40 jours d'exercices spéciaux pour être vécue. La prière est un moment à vivre n'importe où et n'importe quand lorsque nous décidons de parler à Dieu, de nous, de ce qui nous réjouit, de ce qui nous préoccupe. La prière est un temps d'amitié entre le divin et l'humain. Elle se vit avec nos mots à nous. Dieu n'a que faire de belles phrases, de constructions grammaticales. Dieu nous attend et nous accueille dans la douceur de sa toute-puissance. Celle-là même qui transfigure chaque être humain. Prenons alors ensemble ce temps pour nous laisser chacune et chacun transfigurer par la douceur de sa tendresse.

Amen