Il y a deux ans, j'ai vécu au cours de cette célébration de dix-neuf heures une expérience quelque peu étonnante, voire même étrange. Il y avait devant moi, juste à votre place madame/monsieur, un jeune homme qui n'arrêtait pas de me fixer de son regard. Et cela depuis de début de l'eucharistie. Il m'était impossible de l'éviter. Chaque fois que mes yeux balayaient l'assemblée, je croisais les siens. J'étais dérangé parce que je n'arrivais pas à comprendre la fixité et l'intensité de son regard à mon égard. Quelques mauvaises pensées m'ont même traversé l'esprit au cours de la prière eucharistique lorsque je constatai qu'il continuait de me regarder de la sorte. Un peu comme si en paraphrasant le texte de Raoul Follereau, chaque fois, que je le voyais, je savais par lui que j'étais vivant.
Bien vivant puisque je sentais en moi monter un certain énervement. Quelle ne fut pas ma surprise après lui avoir donné la communion de découvrir lorsqu'il s'est retourné qu'il portait des appareils auditifs et que depuis le début de la messe, il lisait sur mes lèvres. A cet instant, je compris l'intensité de son regard. C'est par ses yeux qu'il pouvait m'entendre.
Finalement, un regard est rarement neutre. Certains regards nous étonnent, d'autres nous effrayent, d'autres encore nous rassurent. Il suffit parfois d'un simple regard pour se trouver bien ou pour être mal. A un moment donné de la vie, le regard de l'autre me façonne, me construit. Et souvent quand il me déstabilise, c'est parce que j'ai peur d'être jugé, incompris, condamné, en fait mal aimé tout simplement. De plus, par mon regard, tu ressentiras toute l'amitié que j'ai pour toi et moi par tes yeux, je reconnais les sentiments qui habitent au plus profond de ton être. C'est dans les yeux de l'autre que nous cherchons des forces pour affronter des moments plus difficiles. Par un simple coup d'½il, je sais que je ne suis plus tout seul.
Quelqu'un est là, il m'aime et me redonne le courage. Ce n'est pas si étonnant que cela, cette puissance du regard, n'est-il pas vrai qu'avec les yeux, nous ne pouvons pas mentir. Un peu comme si ceux-ci étaient le miroir de notre âme. Ils disent quelque chose de nous. C'est pourquoi, j'aime plonger dans le regard de l'être aimé pour retrouver confiance. C'est vrai, il suffit parfois d'un simple regard pour se dire tant de choses. Qui d'entre nous, lorsqu'il était à l'école, par exemple, ne comprenait pas ses voisins de classe par de simples regards ? Combien de chahuts n'ont pas commencé de la sorte. Le regard est tellement important qu'il n'y a rien de pire que de parler à quelqu'un qui a mis des lentilles de contacts illustrées ou encore quelqu'un dont nous ne pouvons pas voir les yeux cachés derrières des lunettes de soleil. Je trouve cela personnellement insupportable et j'invite toujours la personne à les retirer sauf évidemment si celles-ci permettent de cacher la douleur d'un événement. Dans les autres cas, j'ai toujours l'impression que si la personne cache ses yeux, la relation n'est pas tout à fait vraie. Je ne peux pas véritablement entrer en contact. Tout comme celles et ceux qui lorsqu'ils vous parlent regardent par terre, derrière ou à côté de vous.
C'est pourquoi, j'invite maintenant les jeunes qui ont préparé cette célébration à retirer les lunettes pour que par les yeux, les personnes puissent entrer en contact des deux côtés de l'autel. Les yeux sont donc essentiels et c'est sans doute la raison pour laquelle Isaïe écrit : " oui, j'ai du prix aux yeux du Seigneur, c'est mon Dieu qui est ma force " ou encore lorsque Raoul Follereau conclut : " quand je la vois, je sais par elle que je suis vivant ". Merveille du regard qui fait vivre. Merveille du regard qui s'attarde. Parce que finalement les yeux, c'est un peu comme la foi.
Dans la vie, toutes et tous, nous voyons des choses. Souvent de manière différente. Certains voient des détails auxquels les autres n'auront pas spécialement prêté attention. Il y a même parfois des choses que nous ne voyons pas du tout, comme si nous avions nos yeux en poche. C'est en cela que les yeux sont un peu comme la foi. Le regard est la lumière de l'amour et de la foi qui voit là où d'autres ne voient rien. Ce n'est donc pas parce que je n'ai pas vu quelque chose que la chose n'existe pas pour autant. Il en va de même pour la foi. Une foi éclairée par l'Esprit qui nous permet, comme Jean le Baptiste lorsque nous posons notre regard sur le mystère du Christ, de reconnaître, nous aussi : " oui, je l'ai vu, c'est lui le Fils de Dieu ". Que par nos yeux nous puissions toujours voir la réalité, la vérité de Dieu.
Amen.