Il y a aujourd'hui, dans l'Eglise occidentale, un problème de « vocations ». Après avoir entendu pendant des décennies des propos rassurants sur la « sortie du creux de la vague », nous sommes maintenant face à un grand silence mais tout le monde a compris. Dans nos régions, le modèle qui s'était imposé dans l'Eglise catholique occidentale depuis le 10ème siècle ne fonctionne plus. Aucun discours ne peut contester les chiffres et la réalité s'impose. Les prêtres célibataires sont trop peu nombreux et trop âgés pour continuer à encadrer les communautés chrétiennes. Il faudra bientôt nous organiser autrement. D'une certaine manière on peut donc dire qu'il a, pour l'Eglise, un appel à changer, un appel qu'il lui faut entendre, même au plus haut niveau. Entre mourir et changer, ceux qui ont choisi « mourir » seront bientôt tous morts.
Cela peut nous stimuler pour réfléchir à ce qu'est la « vocation » de disciple, d'apôtre, la vocation de fondateur et de responsable de communauté. Il faudrait pour cela relire toutes les Ecritures et la Tradition mais nous allons nous limiter aujourd'hui à cet évangile où l'on voit deux disciples qui, paradoxalement ne sont pas appelés. En effet, il n'y a pas ici de la part de Jésus un appel direct comme en d'autres occasions ou en d'autres versions. Il n'est pas dit « venez à ma suite ». L'initiative vient des disciples eux-mêmes qui ont une attente, celle du Messie, qui ont une recherche profonde et qui se sont déjà mis en mouvement (un peu comme les Mages de dimanche dernier, qui venaient de très loin). Ces deux hommes se sont déjà mis en route. Ils sont disciples de Jean Baptiste et ils ont suivi son enseignement. Or celui-ci ne les garde pas captifs, sous son influence, comme dans une secte, il leur désigne un autre : « Voici l'Agneau de Dieu ». Tout cela est dit en trois lignes d'une intense gravité. Quand le fond est là, il n'y a pas besoin de beaucoup de mots et tout va très vite. Il en est ainsi dans les films ou les romans, au moment où les héros principaux se rencontrent, se reconnaissent et se disent l'essentiel. Tout se met à prendre sens, à prendre feu. La vie a changé. La vie a changé au point que Simon va jusqu'à changer de nom.
Pierre est venu après. Il vient d'ailleurs toujours après. Il suit... du début jusqu'à la fin, il vient après un autre, celui qui court plus vite que lui, ou celui qui a rencontré Jésus le premier. Il vient pour constater, pour attester. Ce mystère de la fonction de Pierre devrait être davantage méditée par ceux qui prétendent lui succéder. Lui non plus, dans ce récit, n'est pas appelé directement par Jésus. L'appel lui vient de son frère André, dans la ligne de leur recherche commune « Nous avons trouvé le Messie ». L'appel n'est pas direct, il est médiatisé et il vient dans le prolongement même des aspirations de la personne, dans les illusions mêmes qu'elle nourrit ! Cela s'inscrit dans ses préoccupations, tout aussi obscures qu'elles soient. Pierre, on le sait, se trompe lourdement sur le Messie qu'il attend mais pour le moment, c'est bien le Messie qu'il rencontre, même s'il ne peut pas imaginer une seule seconde tout ce qu'il va devoir découvrir et tous les retournements, toutes les conversions qu'il va devoir réaliser. Pour le moment, il croit avoir trouvé ce qu'il cherchait.
Jésus, lui, se retourne. L'expression, dans l'Evangile, est toujours significative d'un sens symbolique qui exprime la conversion, la métanoïa, le changement profond. Cette expression s'applique normalement aux disciples, Marie-Madeleine, par exemple, au bord du tombeau, se retourne et aperçoit le ressuscité. Ici, curieusement, c'est Jésus qui se retourne, qui doit convertir son regard. Quelque chose d'important change pour lui. Il est suivi ! Autrement dit, il n'est plus seul. Et sa démarche est d'accepter ce changement, d'accepter cette présence auprès de lui « Que cherchez vous ? » « Maître, où demeures-tu ? » « Venez et voyez ! ».
Ceux qui appellent, ce sont les disciples. Ils l'appellent Maître. Et ils lui demandent « où demeures-tu ? » Jésus, en les acceptant, accepte leur demande, celle de les conduire là où il demeure vraiment, c'est à dire non pas dans sa maison ou son appartement, mais auprès de son Père, dans la communion de Dieu.
C'est pour les disciples un changement important, on le comprend bien lorsque l'on prend soi-même une telle décision. Mais c'est pour Jésus lui-même un changement non moins considérable. Cela veut dire qu'il va devoir associer des disciples à sa propre mission, cela veut dire qu'il va déléguer ses fonctions. Cela veut dire qu'il va se faire représenter, qu'il va introduire des intermédiaires dans la communication avec le peuple, qu'il aura des porte-paroles, des lieu-tenants... et cela veut dire aussi qu'il y aura des erreurs, des bavures, des trahisons, des perversions. Il met son message à la merci de toutes les déformations. Il faut qu'il ait confiance lui-même en ses disciples, au moins autant que ceux qui le suivent doivent avoir confiance en lui. Il s'établit un rapport étroit de réciprocité dans la confiance et dans l'identité. Nous sommes appelés « chrétiens », du beau nom de Christ et nous présentons des caricatures qui bien souvent n'attirent pas... Jésus se compromet avec nous ! Et il en souffrira comme il en souffre encore aujourd'hui.
Mais cela même fait partie de sa mission. L'amour de Dieu ne s'exerce pas de loin, d'en-haut, de l'extérieur. Le salut de l'humanité, pour sa propre dignité, va devoir associer cette même humanité à sa propre rédemption.
Si notre Eglise (c'est à dire la hiérarchie mais aussi chacun de nous) comprenait mieux cela, peut-être aurait-elle moins de résistance à faire confiance à son tour, même à des gens peu capables, peu fiables, peu recommandables. Jésus ne l'a-t-il pas fait le premier ? L'Eglise, si elle comprenait le mystère même qui la constitue, comprendrait que Dieu ne se protège pas, qu'il y a un droit à l'erreur, qu'il ouvre la possibilité du péché. Et l'Eglise insisterait moins sur la peur, davantage sur le pardon, sur la confiance, sur la dignité de tout homme. Elle n'aurait pas tant de réticence à déléguer
2e dimanche ordinaire, année B
- Auteur: Van Aerde Michel
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : B
- Année: 2011-2012