Il faut cesser de parler du "miracle" de Cana et utiliser le langage de S.Jean qui raconte les SIGNES de Jésus. Un miracle suscite "l'admiration" (mot de même racine) du spectateur qui s'émerveille mais souvent ne se compromet pas. Le signe, lui, appelle, interpelle, mobilise. Par exemple, au carrefour, le signal rouge arrête la circulation ; le vert l'autorise. Ainsi les actions étonnantes de Jésus racontées par l'évangéliste sont à décrypter : quelle révélation apportent-elles ? En quel sens vais-je réagir ? Le Christ n'attend pas nos applaudissements mais notre conversion. L'admiration béate du "surnaturel" peut cacher un refus de se laisser changer.
LA DATE DE L'EVENEMENT.
D'abord il est très dommage que le texte de la liturgie soit amputé de ses premiers mots : "Le 3ème jour ...". En effet, après son baptême, Jésus s'est détaché de Jean-Baptiste et, en quelques jours (Jean répète : "le lendemain,..., le lendemain..."), il a été rejoint par cinq jeunes gens qui s'attachent à lui : embryon du futur groupe des Apôtres. Ce récit de vocations culmine avec la scène de Cana qui se passe "le 3ème jour" - équivalent de "surlendemain" mais notation capitale puisqu'elle fait partie de la confession de foi : "Jésus est ressuscité le 3ème jour " !. Cana n'est pas un scoop pour journalistes fiévreux mais un SIGNE PASCAL. D'ailleurs l'évangéliste remarque ensuite que la fête de Pâque va justement avoir lieu quelques jours plus tard.
QUELLES NOCES ? . . .
Qui sont les mariés qui convolent à Cana ? Jean ne prend même pas la peine de noter leurs noms. Mais ses lecteurs connaissent bien la Bible : ils savent que le mariage essentiel (dont les unions terrestres ne sont que l'image) est celui que Dieu noue avec son peuple, une Alliance. Hélas, Israël a toujours été infidèle à son engagement, il se détourne de son Dieu, lui désobéit, se donne à "des amants", c'est-à-dire, selon la Bible, à des faux dieux, des idoles qui servent son égoïsme. Conséquence : l'épouse infidèle doit subir un châtiment car tout chemin qui ne conduit pas à Dieu mène à l'infortune et à la mort. Or un des symptômes de ce malheur est, notamment, que la prospérité attendue de la part des dieux de la nature ne vient pas et que, entre autres, le vin vient à manquer. Le vin n'est-il pas la boisson qui réjouit le c½ur de l' homme, la boisson de la joie, de l'ivresse, de l'amour ? N'est-ce pas ce que signifie cette noce de village où les festivités, à peine commencées, se trouvent presque tout de suite à court de ce breuvage qui permet l'allégresse de tous ? Qui de nous n'a fait l'expérience des limites de son amour ? Pourquoi nos réserves d'amour sont-elles si pauvres ?...
INTERCESSION ET VIN NOUVEAU
C'est ici qu'intervient un bref et mystérieux dialogue. La mère de Jésus (St Jean ne l'appelle jamais par son nom, Marie), la première, fait la remarque à son fils : "ILS NONT PLUS DE VIN". Il doit y avoir là plus qu'une simple observation car Jésus la comprend comme une demande implicite, demande qu'il écarte aussitôt : " QUE ME VEUX-TU, FEMME ? MON HEURE N'EST PAS ENCORE VENUE".
De quelle heure s'agit-il ? La fin de l'Evangile nous la révélera : lorsque s'approchera le moment de son arrestation qui le conduira à la mort en croix, Jésus dira : " Mon heure est venue". Car Jésus ne règle pas son existence à sa guise : dans une obéissance parfaite à son Père, le FILS exécute la mission qu'il lui a confiée avec une parfaite exactitude. A l'HEURE ( Pâque ) fixée par son Père, il donnera sa vie : aussi cette Pâque-là sera celle de son Exaltation, de sa Glorification. Sur la croix éclatera la Gloire du Père et celle du Fils. Maintenant à Cana, Jésus vient seulement de recruter ses premiers disciples : il débute sa mission, son heure n'est pas encore arrivée...
Néanmoins sa mère a l'intuition que son appel n'a pas été rejeté : se tournant vers les serviteurs, elle leur dit : " "TOUT CE QU'IL VOUS DIRA, FAITES-LE".
Or, dit Jean, il y avait là, six grandes cuves, d'une contenance d'environ 100 litres chacune, qui servaient à la purification des Juifs : ceux-ci, en effet, pratiquaient beaucoup de bains et d'ablutions, en quête d'une pureté toujours perdue par le péché.
Et Jésus de commander aux serviteurs : " REMPLISSEZ D'EAU CES CUVES" . Ce qu'ils font. Puis il leur dit : "PORTEZ-EN AU MAÎTRE DU REPAS". Ce traiteur qui est à même de donner son appréciation professionnelle sur la qualité du vin, goûte et, tout surpris, va trouver l'époux. Pourquoi lui ? Parce que c'était l'époux qui était toujours chargé de procurer le vin de ses noces.
"D'habitude on sert d'abord le bon vin puis, quand les gens ont bien bu, on sert du moins bon - et toi, tu as fait le contraire !?!!".
Le récit se termine sur cette surprise. Remarquez que rien n'est dit des réactions de l'assistance : on est très loin d'un fait-divers bizarre. Mais St Jean conclut solennellement :
"Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C'était à Cana, en Galilée. Il manifesta sa Gloire et ses disciples crurent en lui. Après cela, il descendit à Capharnaüm avec sa mère et ses disciples".
ENTRER DANS LA PROFONDEUR DU "SIGNE".
Israël vivait son rapport à Dieu sous le signe de la LOI : Dieu avait donné des préceptes mais la faiblesse humaine empêchait de les observer parfaitement. Aussi était-on acculé à multiplier sacrifices, oblations, bains...afin de tenter de retrouver l'innocence et la justice. Peine perdue ! Mais voici que paraît Jésus : il est l'EPOUX en personne, il aime son peuple comme une EPOUSE. Afin de la rendre pure de manière définitive, il donnera sa vie sur la croix : son sang versé lui offrira le pardon, la tendresse, la VIE. Ici, "au commencement", Jésus fait un geste "significatif" : seuls sa Mère et ses disciples ont compris et "ils le suivent", c'est-à-dire qu'ils sont la nouvelle EPOUSE qui est d'accord de suivre son époux. On assiste à une ébauche de ce qui sera le tournant de l'histoire : le passage de l'Ancienne Alliance (commandements écrits - bains rituels) à la NOUVELLE ALLIANCE qu'annonçait Isaïe (1ère lecture) :
"Comme un jeune homme épouse une jeune fille, celui qui t' a construite t'épousera. Comme la jeune mariée est la joie de son mari, ainsi tu seras la joie de ton Dieu"
Croire au signe de Cana, c'est prendre part à l'assemblée qui, chaque 3e jour (dimanche), s'enivre de la Joie en communiant au sang de l'EPOUX. Encore faut-il "faire tout ce qu'il dit" !!