30e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Van Aerde Michel
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2006-2007

Je suis dominicain donc un pharisien, les s½urs sont des pharisiennes, vous êtes des chrétiens pratiquants, donc des pharisiens, saint Dominique était un pharisien, saint Paul aussi. Le mot « pharisien » peut se conjuguer parfaitement parmi nous et heureusement. Aimeriez-vous avoir affaire à un grand pécheur ? un grand pécheur, tout repentant mais grand pécheur ? Cela ne serait pas nécessairement bien vu ! Aimerais-je dans la famille dominicaine, trouver une bande d'exploiteurs, de buveurs, de noceurs, de parjures, d'assassins ? Aimeriez-vous que vos enfants, que vos amis, soient semblables à ce publicain ? Non ! Nous sommes tous des pharisiens, et si nous ne sommes pas tout à fait contents de nous mêmes, nous aspirons à l'être, il faut l'admettre franchement.

J'ajouterai que c'est la morale de nos contemporains, un humanisme de bon aloi. L'honnête homme est un modèle tout à fait avouable. Il respecte la Loi, il est généreux.

C'est justement cela qui est en cause. Le pharisien est un humaniste qui s'ignore, un homme de bien, bien pensant et bien faisant, heureux de lui-même. « J'ai ma conscience pour moi ! » C'est un homme satisfait. Quand il se regarde dans le miroir de la Loi, il se trouve beau !

Faut-il prêcher la mauvaise conscience ? Faut-il chercher à culpabiliser ? Cela s'est trop fait pendant des siècles, quand le « terrorisme spirituel » utilisait les grands ressorts que sont la culpabilité et la crainte de l'enfer. Certaines sectes continuent dans ce sens, l'Eglise a fort heureusement évolué. C'est ce terrorisme spirituel, cet embrigadement moral qui, en partie, a provoqué la sortie de la religion « Si Dieu existe, je ne suis pas libre, écrit Sartre » alors que pour moi, Dieu est celui qui me libère, qui est toujours à la source de ma liberté. Cet abus a entraîné l'anticléricalisme contemporain.

J'entends la radicalité de la parabole de Jésus comme un appel éloquent, une violente provocation à comprendre que nous ne comprenons pas, à savoir que nous ne savons pas. Ici tout est inversé. Dieu est du côté du pauvre type et non pas du côté de l'honnête homme. Quelque chose nous échappe. Quoi ?
-  L'autorité de déterminer qui est « juste » et qui ne l'est pas. Pourquoi ? Parce que c'est l' « affaire » de Dieu et que ses pensées ne sont pas nos pensées, sa justice n'est pas notre justice, ses critères ne sont pas nos critères.

Etre justifié, c'est d'une certaine manière être accordé, « juste » comme une note est juste, comme une corde, quand elle vibre en harmonie. Nos critères sont souvent étroits et ils sonnent faux. La corde sensible du Dieu vivant sonne différemment. Il s'agit donc de nous mettre au diapason du c½ur de Dieu, lui qui s'est manifesté amour, fou et passionné, inconditionnel !

C'est un amour vulnérable certes, qui encaisse les coups, mais qui ne se résigne jamais. Le publicain a péché, c'est un grand pécheur ; beaucoup d'hommes sont mauvais, objectivement méchants, mais le Dieu vivant les aime tous comme un Père, il les attend. Il ne peut pas les oublier, il tient à eux. Il les attend sans tenir de comptabilité, ni de leurs aumônes ni de leurs jours de jeûne, de leurs vols, mensonges, adultères ou assassinats. Il attend inconditionnellement qu'ils se mettent à vibrer.

St Dominique vivait cela intensément. Il passait des nuits en prière et soupirait « que vont devenir les pécheurs ? ». C'est en effet cela qui peut nous sauver, nous les pharisiens autosatisfaits : regarder les autres avec tendresse et solidarité comme les voit le Dieu miséricordieux et non pas en les jugeant. Non pas nous réjouir parce que différents, meilleurs. Non pas nous évaluer continuellement dans cette société compétitive pour voir si nous sommes bien classés dans le concours des vertus : je ne suis pas « meilleur » du fait que d'autres sont « pires » ! Le jugement ne m'appartient pas, je dois renoncer à l'évaluation, pour entrer dans la confiance, dans la foi en un Dieu accueillant pour tous. Il s'agit de plonger dans la passion de Dieu pour toute l'humanité. Cela peut aller jusqu'à l'extrême, ce que vit saint Paul, en pharisien converti, pharisien sauvé de son orgueil : « s'il faut que je sois rejeté pour que mes frères soient sauvés, alors que je sois anathème, exclu ! » En vivant cette compassion, il est en fait au c½ur de Dieu !