2e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Gihoul Luc-Henri
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2003-2004

Au cours de ces dimanches, l'Eglise nous instruit de différentes manifestations du Seigneur. Après l'Epiphanie aux mages et aux nations, celle à St. Jean-Baptiste, lors du baptême de Jésus, ce jour, nous célébrons, par le récit de son premier miracle, celle des noces à Cana ! « Et c'est ainsi, dit l'Evangile qu'il manifesta sa gloire et que l'on crut en lui. »

Je ne sais s'il vous a été donné parfois de vivre au côté d'un homme remarquable ou exceptionnel, si vous avez eu ce privilège, vous aurez peut-être remarqué de quelle leçon d'humilité se paye cet avantage ! On se sent soi-même tellement petit, qu'on se sent dépassé. On avance une idée, on formule une opinion, on propose un plan et tout apparaît subitement anodin lorsqu'il expose les siens. Rien ne reste de notre discours après qu'il a parlé.

Avec Dieu, c'est pire encore ! Dieu nous surprend toujours. Il est vraiment imprévisible. Nous ne le reconnaissons même pas dans la manière dont il exauce nos prières. Qui eut imaginé que le « Seigneur de gloire » comme dira st. Paul, le « père d'une immense majesté », comme le chantera Te Deum, venant sur terre pour se manifester, qui eut imaginé qu'il choisirait d'apparaître comme un poupon vagissant sur la paille d'une crèche ou qu'il ne trouverait qu'un moyen de renouveler le monde : en mourant entre 2 criminels sur une croix ?

Et, qui eut conseillé à Jésus de faire son premier miracle dans une noce de village sur une scène de fête et de bon vin, par un geste qu'on attendrait si peu d'un prophète et encore moins d'un Dieu. On comprend qu'il ait amené ses disciples à s'asseoir à un banquet de noces mais, les convives ayant bu déjà plus que prévu, que le Christ ait jeté sur la table d'un seul coup, 7 à 800 litres de vin ! ? Il y a de quoi choquer certains, surtout dans l'idée que ceux-là se font de la religion. Quand celle-ci doit être pénible et qu'on ne peut être religieux qu'en étant rebutant et ennuyeux ! Dieu, lui, voulait marquer par-là l'inépuisable mansuétude de sa miséricorde et l'infinie magnanimité de son amour. Nous n'y voyons qu'un comportement déconcertant, comme s'il n'y avait que deux attitudes possibles dans la vie : choisir de se réjouir sans religion ou choisir de servir Dieu sans joie.

Ce que Jésus attaque dans ce miracle de Cana, c'est justement cette séparation entre le Dieu de la nature et celui de la grâce, entre le Dieu qui crée le monde et le Dieu qui s'incarne pour le sauver, entre le Dieu adoré dans l'univers et le Dieu célébré dans nos églises, le Dieu créateur et le Dieu rédempteur : c'est le même Dieu, le Dieu de l'Alliance. On lui rend hommage en priant comme on lui rend hommage en vivant, tout simplement, tout ce que l'on doit vivre dans les activités de tous les jours. Jean-Baptiste instruisait ses disciples au désert, dans la rigueur d'une ascèse redoutable. La première leçon que reçoivent les disciples de Jésus est bien différente. Jésus leur apprend les plus simples vertus : la joie de l'amitié, la beauté de l'amour humain, la franchise envers la Vie. Jean est venu, ne mangeant ni ne buvant et on disait de lui « c'est un homme impossible ». Jésus est venu, mangeant et buvant et on disait de lui : « c'est un homme de bonne chère, ami des publicains. » C'est d'Alliance dont nous parle ce miracle. Il ne parle pas d'abord de mariage, d'Eucharistie ou de Sacerdoce mais d'un autre mariage, celui qui unit Dieu et son peuple, Dieu et toute l'humanité. L'épouse dont il est question ici c'est le Christ. Et l'épousée, c'est l'Humanité. Et cette Alliance-là entre Dieu et l'homme, cette noce-là entre le ciel et la terre vaut bien une grande fête. Pour cette union-là, entre ciel et terre, Dieu donne à tout ce qu'il y a de bon dans la vie, son sens et sa beauté. C'est de cette Alliance-là entre un Dieu qui nous aime et l'Humanité que Dieu veut heureuse dont il est question dans ce miracle. A la demande de Marie, sa mère, Jésus change l'eau en vin pour que la fête continue et pour qu'on puisse continuer à s'accueillir mutuellement dans la joie. Image et anticipation de notre rédemption. Quel beau chant d'amour ! Il est bon ce vin nouveau, fruit de la tendresse paternelle de Dieu pour l'humanité, fruit de la ferveur attentive d'une mère, fruit d'un amour filial de jésus pour sa mère, fruit de l'amitié humaine de Jésus pour de jeunes époux imprévoyants. En Jésus, Dieu montre aux hommes, et ce miracle l'atteste, un tempérament libre, cordial, audacieux qui le rend d'emblée l'ami de tous, joyeux compagnon quand on se marie et quand on s'aime, respectueux de l'autre, de sa mère et des plus démunis en premier, et magnanime en ses dons. Mais, en changeant l'eau en vin, non seulement Dieu valorise nos valeurs humaines mais il s'affirme lui-même, maître de la vie. Jésus anticipe ce qui sera sur la croix le don de sa vie. Il préfigure déjà le don que sera l'Eucharistie. Nourri par elle, l'homme peut, lui aussi, changer sa vie et en faire pour les autres un vin capiteux et enivrant. Alors nous entendrons Dieu nous dire à nous aussi, les mots tendres qu'Isaïe, dans l'épître mettait dans la bouche de Yhaweh « tu es ma couronne resplendissante, mon diadème royal, ma préférée et mon épouse ». Et le prophète poursuit »Il était pécheur, le voilà qui devient « la joie de mon Dieu ».

Sommes-nous ces enfants de la Sagesse divine qui savent à la fois, et tour à tour, admirer et rendre gloire à Dieu de ses biens, participer à l'indigence humaine et sympathiser, d'un c½ur sincère, à la joie des autres ? Avons-nous le courage de vivre une vie pleinement humaine et religieuse et devant Dieu ? Jésus a été cela, et Cana le confirme : pleinement homme et pleinement Dieu. La dernière parole avant Cana était : « Je suis aux affaires de mon Père. » Ici, Jésus se consacre aux affaires humaines.

Au lieu de faire de la religion un épouvantail pour nous dispenser de la pratiquer, au lieu de croire que pour ressembler au Seigneur, il nous faut devenir tout autre que ce que nous sommes, il nous faudrait au contraire retenir ce que nous avons de commun avec lui : cette nature humaine qui l'a rendu présent à nous. Le vrai moyen, pour nous, de ressembler davantage à Jésus, ce serait de devenir plus humain. Si nous étions plus attentifs et plus compatissants, nous aurions une vraie communauté d'âme avec le Seigneur. Si vous êtes sensible à la fraîcheur d'un enfant qui joue, si vous avez perçu la fragile beauté d'une fleur, si vous détestez l'hypocrisie, si vous compatissez au désespoir d'un frère, si vous prenez d'abord parti pour le faible accablé, vous entrez dans le partage de cette intimité que Dieu veut entre Lui et Nous. Et c'est logique, puisqu'il a choisi « cette vie de peine et de joie » pour venir à notre rencontre.

Le Christ a « manifesté sa divinité et révélé sa gloire » en montrant à Cana sa délicatesse de c½ur. Jésus a souffert de la gêne ou de l'humiliation possible de 2 jeunes mariés, il a sympathisé avec la joie simple de braves gens, il a goûté la chaleur de l'amitié et peut-être même senti la tristesse de certains, dépités à l'idée de cesser de boire au milieu d'un festin agréable. Et il a fait son premier miracle. Et le faisant, il nous disait une fois encore son Alliance. Il anticipait son offrande sur la croix. Il révélait l'ampleur de la plénitude de son pardon. Tout cela, Jésus l'a fait avec la même tendresse de c½ur qu'il nous invite, en ce jour, à communier à sa vie dans l'Eucharistie pour nous inviter, un autre jour, à ce banquet où le vin ne fera jamais défaut et où la joie ne sera jamais finie. Entre-temps, « manifestons sa gloire et sa divinité » par l'assiduité de notre foi eucharistique, par l'ingéniosité de notre c½ur éveillé, par les miracles de notre compassion envers ceux qui pleurent et notre sympathie envers ceux qui se réjouissent.