30e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Gihoul Luc-Henri
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2003-2004

Cette parabole, avec celles de l'Enfant prodigue et du bon Samaritain, est une des plus connues. Elles font toutes trois partie d'une dizaine de chapitres qui constitue le message central de l'évangéliste St. Luc. Les commentaires furent multiples car les thèmes le sont aussi. On y parle de la suffisance méprisante d'un vertueux orgueilleux, mais aussi de l'humilité d'un c½ur repentant face à la tendresse d'un Dieu qui pardonne, de même que de l'efficacité d'une prière humble. Je voudrais laisser tous ces thèmes, réels et importants pour en souligner deux qui porteront les mêmes enseignements spirituels.

Le premier : Chacun de nous n'est-il pas, souvent, à la fois pharisien et publicain ? Le second sera aussi suggéré sous forme de question : le publicain de la parabole n'est-il pas comme un symbole de Jésus lui-même ? Chacun de nous n'est-il pas dans son ambiguïté, tout à tour et tout à la fois pharisien et publicain ? Par-dessus tout, n'est-il pas vrai qu'en chacun d'entre nous se disputent le bien et le mal, le croyant fidèle et le chrétien timoré, le pharisien sûr de lui et le publicain humble et contrit ? D'un côté, en nous, existe parfois l'idolâtre narcissique qui justifie ses erreurs. Nous exerçons parfois vis-à-vis de nous même une apologie de soi qui ne reconnaît pas ses torts, et, vis à vis des autres, une logique sans entrailles qui juge et condamne sans appel. Et d'un autre côté, nous nous surprenons aussi plein de faiblesse et d'abandon, animé d'espérance et d'humilité rédemptrice. Regardons le pharisien en premier. Oui, le pharisien est en nous. Lui qui, selon le texte, est « dressé » dans sa prière. Il ne se redresse pas comme on pourrait le faire après avoir fauté. Il se dresse parce que si souvent victorieux de ses défauts, il ne peut que se sentir droit. Et de là, il a pris l'habitude de se dresser lui-même au-dessus des minables et des faibles. Dressé, il se place en évidence. Il s'installe. Il s'étale, étalant en détail ses actes de vertu. Malheureusement, ce pharisien n'a prié que devant lui-même, donc devant une idole. Le pharisien sait tout ce qu'il doit faire, et il le fait, et il le fait même souvent très bien, et c'est parfait ! mais il le fait comme on fait son marché. Sa prière, comme sa vie, est un marchandage avec Dieu dont il attend sa récompense. Il sait quoi faire. Il ne sait pas comment être, c'est à dire « être » dans une relation d'amour quoi qu'on fasse. Au lieu d'être sans mépris pour les moins parfaits, son auto-justification jette des regards obliques vers autrui pour renforcer le sentiment de sa propre excellence, qui devient vite pour les autres de la supériorité méprisante. Dommage ! Car sa prière, le pharisien, l'avait si bien commencée : « je te rends grâce ô Dieu ». mais elle n'est pas une gratitude à Dieu mais à lui-même, à lui devant Dieu. Le pharisien n'est pas le témoin d'une grâce de pardon de Dieu. C'est Dieu qui est invité à être le témoin spectateur de la gloriole du prétendu vertueux. Oui, en chaque humain, coexistent un pharisien mais aussi un publicain.

Le publicain, lui, est sans illusion sur lui-même. Son complexe d'infériorité l'entraîne du même coup à une absence de jugement sur autrui. Dans le monde déviant auquel trop souvent il collabore, il sait combien un geste de miséricorde est vivifiant, combien un geste de compassion est réparateur. Pourquoi devant Dieu détailler sa faute ? Puisque les gens vertueux, comme ce pharisien, le font pour lui. Il a simplement conscience de sa profonde pauvreté intérieure et de sa grande détresse spirituelle. Du coup, dans sa prière, il n'est pas le personnage central. Mais Dieu dans son infinie tendresse. Dans le psaume qu'il récite, il est dit : « d'un c½ur brisé, ô Dieu, tu n'as pas de mépris ... » Désespéré de son péché, c'est à dire de lui-même, il n'est plus pour lui d'espérance qu 'en Dieu, c'est-à-dire en l'absolu de l'Amour. Oui, vraiment, pharisien et publicain sont la même personne. En réalité, c'est nous-même, c'est chacun d'entre nous, nous sous deux aspects bien réels, perçus chez nous tous par Jésus. C'est, qu'en nous, aucune prière n'est vraiment parfaite, pas plus celle du publicain que du pharisien. Peut-être ce qu'ils auraient dû faire c'est prier l'un pour l'autre !

En ce sens, essayons de garder l'exigence de vie du pharisien vertueux et l'humilité pleine de contrition du publicain repentant. En nous, les deux doivent se sauver mutuellement. En nous, le pharisien essaie d'être juste. Il prie, il partage mais il doit essayer de ne plus mépriser ni médire, de ne plus juger. En nous, le publicain s'amuse parfois au dépend de Dieu, au détriment de son frère, mais il doit un jour comprendre sa faute et implorer miséricorde. Alors, l'unité peut se faire, dans la foi, entre le vieil homme et l'homme nouveau.

Le second thème de cette parabole est celui d'une leçon sur l'agir de Dieu, révélé en Jésus-Christ. Finalement le publicain c'est Jésus lui-même. Il est le symbole de Jésus, venu comme le collaborateur de Dieu. Le publicain, était, en Israël au temps de Jésus, un collaborateur du pouvoir romain pour percevoir les impôts de César. Jésus est venu comme un collaborateur de Dieu pour percevoir nos péchés, pour recevoir nos repentirs, pour recueillir nos hommages de reconnaissance et de gratitude. Ce qui scandalisait habituellement les adversaires de Jésus, c'était « l'annonce de la Bonne Nouvelle aux pécheurs. » « Pourquoi te compromets-tu avec ces pécheurs ? » disaient les scribes, les pharisiens et le sanhédrin. « Quel scandale !. » Et Jésus répondait : »Non pas quel scandale, mais quelle merveille ! ». « Qui donc est Dieu pour nous aimer ainsi...Etes-vous aveugles devant la bonté de Dieu, vous qui attendez un jour de vengeance ? » Dieu, dit Jésus, est le Dieu des désespérés, le Dieu dont la miséricorde est sans limite pour les c½urs brisés. Par l'image du publicain, c'est Dieu en Jésus qui nous dit : si Dieu aime ce qui n'est rien, c'est parce que savoir qu'on n'est rien est l'unique moyen de devenir quelqu'un selon le c½ur de Dieu. Un pécheur repentant est plus près de Dieu qu'un juste suffisant. Pour le Dieu de l'amour gratuit, un pécheur repentant vaut mieux qu'un juste méprisant. Pour le Dieu de Jésus-Christ, un pécheur contrit vaut mieux qu'un juste orgueilleux qui n'aime plus. Lorsque pharisien et publicain en nous se placent devant Dieu, ce que Dieu voit ce n'est pas celui qui pense d'abord à lui, mais celui qui pense d'abord à Dieu, et s'il pense à lui-même, c'est à lui-même à cause de Dieu, à cause de la grâce du pardon de Dieu. Ce que Dieu voit, ce n'est pas celui qui se félicite de sa vertu et se rengorge de sa probité, mais le c½ur humilié qui fait confiance à l'amour. Ce qui compte d'abord pour Dieu, nous dit Jésus en cette parabole, ce n'est pas le « faire », nos actions même très vertueuses, c'est l' « être », une attitude fondamentale de confiance et d'abandon, une volonté d'amour d'autrui. Voilà comment Dieu juge !

La sainteté consiste dans la volonté de conversion intérieure et dans un comportement d'humilité du c½ur. Oui, en cela Dieu est un Dieu inattendu, un Dieu qui provoque l'étonnement, si pas le scandale, un Dieu qui bouleverse nos évidences et qui se plaît à offrir sa grâce à qui ose crier vers lui de sa détresse la plus noire. Alors, oui conclut la parabole : « qui s'élève est abaissé, qui s 'abaisse sera élevé. » Etrange loi évangélique : il faut descendre pour monter ! Mystérieux paradoxe chrétien : c'est en s'abaissant qu'on grandit !

L'inattendu de Dieu, c'est son jugement fait de pardon dépassant nos jugements, c'est son jugement falsifiant nos jugements. Dieu par son amour rend faux nos propres jugements sévères.

L'inattendu de Dieu, c'est sa grâce dépassant nos craintes, c'est sa tendresse dépassant nos tiédeurs, car en Jésus Dieu brise nos contraintes et fracture nos prisons de peurs.

Aussi prions le Seigneur d'arriver un jour aux portes du Royaume pharisien écorché vif des maux de ce monde ou publicain meurtri et blanchi des poussières de nos routes. Prions d'être l'un et l'autre à la fois, avec un regard qui a vu le bien et le mal et un visage dont nous n'avons pas pu essuyer la sueur, mais tous deux réconciliés en nous par la foi, chrétien fidèle priant tour à tour pour la moitié de nous-même, priant l'un pour l'autre et priant avec un c½ur brûlé d'espérance et qui jamais ne s'est rendu.